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Chroniques
Francis Poulenc
Dialogues des carmélites
En 1953, devant répondre à une commande de la Scala, Francis Poulenc s'enthousiasme pour la proposition de Valcarenghi, directeur des éditions Ricordi : écrire un opéra d'après Dialogues des carmélites, un texte de Bernanos paru en 1949. Si, quelques années plus tard, La Voix humaine est prétexte à dire la solitude et l'angoisse de vieillir [lire notre critique du DVD], ce nouveau projet aide le compositeur à exprimer sa souffrance à un moment difficile de sa vie – qu'il tente d'apaiser par l'analyse psychanalytique et la retraite religieuse. « Je n'aurais jamais cru que je pourrais écrire une œuvre de ce ton, écrit-il. […] Je suis fou de mon sujet au point de croire que j'ai connu ces dames ».
Achevée en septembre 1955, la composition est orchestrée jusqu'en juin 1956, puis présentée au public le 26 janvier 1957. À la création italienne comme aux représentations françaises, le succès est au rendez-vous. L'une des raisons principales en est que le compositeur a veillé à la mise en valeur du texte original – maigrement amputé –, encourageant même les adaptations dans la langue nationales des pays de production, afin que chacun puisse suivre au mieux la progression dramatique de l'ouvrage. C'est pourtant la version française qu'a retenu la Staatsoper de Hambourg en 2008, magnifiée par la vision intemporelle et psychologique deNikolaus Lenhoff qui explique :
« Bien que l'action de cet opéra soit située à l'époque de la Révolution Française et repose sur des événements réels, l'aspect historique de l'œuvre ne constitue qu'un simple cadre. Cette angoisse face à la mort doit également être analysée dans le contexte de la chute de la République de Weimar et de l'ascension du national-socialisme [allusion à la nouvelle de Gertrud von le Fort sur ce même destin des religieuses de Compiègne, parue en 1931]. Néanmoins, ce parallèle avec un passé plus récent ne doit en aucun cas masquer que cette œuvre possède une dimension mystérieuse et profondément mystique. »
La distribution séduit tout autant. Fantasmant son voile avant que de jouir de murs qui ne la protègent que trop peu, la Blanche d'Alexia Voulgaridou s'avère fragile sans timidité, impliquée et naturelle ; elle domine sans peine la partition. En Chevalier, Nikolaï Schukoff fait preuve d'une bonne diction, de souplesse et de nuance, ferme et tendre au besoin. Jana Büchner incarne Constance avec fraîcheur, couleur et lumière. Glaçante de hauteur, Gabriele Schnaut offre à Mère Marie tout l'espace de sa voix. Anne Schwanewilms interprète Madame Lidoine avec une sorte d'évidence, toute d'élégance et de sensibilité. Enfin, on apprécie Benjamin Hulett, prêtant sa voix claire et ses traits juvéniles à l'aumônier.
À la tête du Philharmoniker Hamburg, Simone Young propose une direction tonique et très lyrique à la fois. Saluons ce bel équilibre de pupitres, ces cuivres nets et vaillants qui servent quelques moments très droits, presque extatiques. En revanche, on est gêné par certains flottements, des décalages avec le chant que nul compositeur n'apprécierait – et en particulier Poulenc, qui avait bien fait passer la consigne : « Ne jamais allonger ou retarder un temps (…) ; je préfère toutes les fausses notes du monde ».
LB