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Chroniques
Francis Poulenc
Dialogues des carmélites
Un roman de Gertrude von Le Fort, La dernière à l’échafaud (1931), puis la pièce de Georges Bernanos, Dialogues des Carmélites (1949), précèdent l’ouvrage éponyme que Francis Poulenc entreprend dans une période difficile de sa vie – avec l'analyse psychanalytique et la retraite religieuse comme armes défensives. Commandée en 1953 en vue d’une création à La Scala, sur une idée du directeur des éditions Ricordi, Guido Valcarenghi, sa partition connaît l’achèvement de l’orchestration à la fin du printemps 1956, dans un enthousiasme qui chasse les démons. Le texte de Bernanos est particulièrement mis en valeur – de même que sont encouragées les adaptations dans la langue nationale des pays de production –, ce que relève Gustave Kobbé :
« Le grand mérite de Poulenc est d’avoir su préserver la nature de l’original, de sorte que toutes les paroles sont audibles et qu’il en résulte un drame bouleversant, si la musique ne l’est pas toujours ».
À l’instar de Pelléas et Mélisande, les trois actes – créés à Milan, le 26 janvier 1957 – ont voyagé avec succès, avant que nous les retrouvions en mars 2010, à la Bayerische Staatsoper de Munich. Dmitri Tcherniakov les met en scène avec des caractéristiques qui rappellent son récent Macbeth [lire notre critique du DVD] : intérieur claustrophobe, mouvements de foule, décors stylisés et direction d’acteurs précise. Malheureusement, une fois encore, la caméra d’Andy Sommer massacre le travail d’un homme de théâtre par des changements de plans trop fréquents, voire ineptes (chute du Petit Roi, etc.). Le gros plan, en particulier, caricature certains gestes ou comportements, tout en faisant perdre la vastitude du lieu.
Voix commune et peu puissante, Susan Gritton incarne une Blanche assez insipide, mais sans mièvrerie – voir son sursaut aristocratique face à Constance, un rôle qui trouve en Hélène Guilmette une belle présence et un chant évident où rien n’est forcé. Sylvie Brunet (Mme de Croissy) est impeccable dès l’abord, Soile Isokoski (Mme Lidoine) s’assouplit au fur et à mesure de la représentation, tandis que Susanne Resmark (Mère Marie) jouit d’une grande puissance vocale et d’une autorité naturelle. Hors du couvent, signalons Alain Vernhes (Marquis) à sa place, Bernard Richter (Chevalier), ténor souple et ferme au timbre séduisant, ainsi qu’un John Chest prometteur (Deuxième Commissaire). Comme souvent dans l’opéra français, la diction des uns et des autres est « à la bonne franquette ».
On n’en dira pas autant de Kent Nagano, depuis toujours un serviteur précieux de notre héritage musical [lire notre entretien]. En fosse avec le Bayrisches Staatsorchester, le chef se montre vif mais aussi subtil, comme dans ce passage quasi mahlérien faisant suite à la fuite de Blanche [lire notre chronique du 9 juillet 2010].
Un dernier mot sur le dénouement – attention, SPOILER !!! Dans cet univers sans cornettes ni soutanes, on se demandait comment allaient se glisser des guillotines. À découvrir nos prisonnières entassées au milieu de bonbonnes de gaz, on comprend que les lames resteront en coulisses, et, gorge serrée, l’on s’attend à voir les corps glisser de leur chaises, l’un après l’autre. Hélas, selon le vœu de Tcherniakov, Blanche apparaît et, « libérée du doute, elle tente avec courage d’empêcher la catastrophe imminente. Et, au prix de sa vie, elle sauve les sœurs du Carmel ». Entre quinte de toux et course martelée, la musique de Poulenc devient la bande-son d’un blockbuster à voir en famille…
LB