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Chroniques
Francis Poulenc
J’écris ce qui me chante (textes et entretiens)
Créateur en retrait des événements du monde, Francis Poulenc (1899-1963) n’est plus un musicien « à découvrir » depuis la publication de Journal de mes mélodies (1964, réédité en 1993) et de la vaste Correspondance (1994). Il restait quand même certains écrits peu connus, demeurés dans l’ombre. Docteur en musicologie ayant écrit notamment sur Wagner et Fauré, Nicolas Southon réunit en un volume plus de cent vingt de ces textes dans lesquels Poulenc prend la parole et se positionne face au débat de la vie musicale et artistique des années vingt à soixante. Le tout est classé par ordre chronologique de publication au sein de sept catégories, et chaque contribution introduite par un bref commentaire l’éclairant, en plus d’être annotée.
« Quand on se fait la barbe et qu’il vous vient un air sur les lèvres, pou, pou, pou, à cela vous reconnaissez votre préférence et vous pouvez dire : voilà mon ami ! » (1963) Dans un milieu où il compte beaucoup de sympathies, justement, ce pilier du Groupe des Six en vient tout naturellement à écrire pour différents supports de presse, qu’ils se nomment journal (Le Coq), quotidien (Le Figaro), hebdomadaire (Opera), périodique (Feuilles libres, Comœdia, Musica) ou revue (Rythmes, Contrepoints, La Table ronde). On y trouve cette liberté souvent revendiquée par le musicien – « Étant fidèle à la vérité de ma nature, je fais ce qui me chante, ce qui me va, ce qui me plaît » (1961) –, tant dans la narration (usage récurrent de l’anecdote) que par les genres pratiqués (étude spécialisée, billet d’humeur, préface, hommage, lettre ouverte, etc.). On y trouve nombre d’emballements (pour le phonographe, les interprétations de Landowska et d’Horowitz, ainsi que pour les œuvres de « Jean-Sébastien Strawinsky », Milhaud, Heiller, etc.), panachés d’attaques contre la « critique d’avant-guerre », lorsque ses idoles ou ses propres compositions sont mises en cause, ou lorsqu’il explique pourquoi il préfère Satie à Ravel (une erreur de jeunesse !), Chabrier à D’Indy, Kœchlin à Fauré, Berg à Schönberg, Mozart à Beethoven, Schubert à Schumann, et les Petits Chanteurs à la croix de bois au jazz.
Les chapitres Critiques et comptes rendus et Conférences mettent l’accent sur d’autres facettes de Poulenc. Durant trois courtes périodes, en effet, il endosse véritablement l’habit du critique musical, jugeant même les nouveautés du disque pour la revue Arts phoniques – avec ce conseil judicieux : « Placez votre phono sur la caisse d’un piano à queue » (1928). Présent à Paris, Rome ou Salzbourg, il peut ainsi communiquer son affection pour Bartók, Moussorgski, Sauguet et Petrassi ; pour Oberon, Elektra et Fidelio. Par ailleurs, quand elles ne sont pas attaquées pour de mauvaises raisons, Poulenc accepte que ses propres créations soient jugées – surtout par la jeunesse, un âge« où l’on forge son courage » –, lui-même sachant bien lesquelles sont ratées. Quant à la conférence (Mes Maîtres, mes amis, mes poètes, etc.), elle devient vite dialoguée – « Au fond, c’est assez scandaleux : on nous paye pour bavarder » – permettant au « ton familier » qu’affectionnait Poulenc de prendre son envol, comme lors de la trentaine d’entretiens ici retranscrits où l’on parle encore et toujours de musique en général, de certains de ses acteurs en particulier (Boulez, Maderna, Hindemith, Menotti, Webern, Britten, Walton, Tippett, Bernac, etc.)
Déjà précieux en cela (et malgré les redites qui ne gêneront pas l’admirateur de Poulenc), l’ouvrage s’achève avec trois rééditions : Emmanuel Chabrier (1961), le seul véritable livre du musicien, dans lequel Cocteau trouverait « plein d’armes exquises contre les imbéciles et les snobs », les Entretiens avec Rostand (1953-54) – « […] il y a toujours certains malentendus qu’il est bon d’éclaircir » –, ainsi que Moi et mes amis, confidences recueillies par Stéphane Audel (1952-63) sur Viñes, Falla, Prokofiev et Honegger, tout particulièrement, qui lui rendit ce bel hommage : « Au milieu des modes, des systèmes, des mots d’ordre que des impuissants ont tenté d’imposer, tu es resté toi-même avec ce rare courage qui impose le respect ». Un ouvrage important pour saisir l’artiste et son époque.
LB