Chroniques

par samuel moreau

Franco Alfano
Cyrano de Bergerac

1 DVD Seven Stars Systems (2005)
982 707-4
Franco Alfano | Cyrano de Bergerac

Surtout connu pour avoir terminé Turandot à partir des notes laissées par Puccini, Franco Alfano (1876-1954) est un compositeur entre deux mondes. Formé au Conservatoire de Naples puis à Leipzig, il connut le succès grâce à des œuvres véristes pleines d'emphase – Miranda (1896), La Fonte di Enschir (1898), ou encore Resurrezione (1904) – avant de se diriger vers une écriture plus personnelle et complexe dans la seconde moitié de sa vie. S'inspirant de nos gloires françaises pour sa musique et ses livrets (Debussy, Balzac, etc.), Alfano achève Cyrano de Bergerac en 1935. Si le livret d’Henri Cain, pratiquant de nombreuses coupes dans la pièce d'Edmond Rostand, respecte la langue originale, c'est dans une traduction que l'œuvre sera créée à Rome, le 22 janvier 1936. Alors qu'on retraduit ce texte pour la création parisienne quelques mois plus tard, c'est heureusement vers la première version que se sont tournés David etFrédérico Alagna, responsables des décors et de la mise en scène de cette production de 2003, présentée – entre canicule et grève des intermittents – au Festival de Radio France et Montpellier.

Les frères de Roberto Alagna se sont consacrés à la peinture et à la sculpture, avant de réaliser les décors de L'Amico Fritz de Mascagni (Monte-Carlo, 1999), puis ceux de Pagliacci (Festival de Santander, 2000), l'opéra de Leoncavallo qui marque leurs débuts de metteurs en scène. Sans transposition ni modernisme inutile, ils ont soigneusement préparé l'écrin de Cyrano que le ténor attendait depuis sa découverte de la partition, il y a plus de sept ans. Le travail en famille n'est pas une nouveauté pour ces trois fils nés de parents siciliens : musiciens également, ils ont réalisé, en 1997, des arrangements de mélodies françaises et napolitaines pour guitares et voix (EMI Classics). Entre leurs projets sur Werther (Turin, juin 2005) et Otello (Turin, juin 2008), la composition d'un opéra en deux actes sera une nouvelle étape puisqu'une création, inspirée par Le Dernier jour d'un condamné d’Hugo, est prévue à Montpellier, en janvier 2007.

Alagna est évidemment la vedette de ce spectacle très vivant, capté par neuf caméras, une steadycam et une luma. Il incarne à la perfection l'homme aux phrases vantardes, ce ferrailleur insolent entre Peter Pan et Fanfan la Tulipe, si fragile au fond... « C'est le rôle de ma vie, dit-il, celui qui m'a habité le plus, tant du point de vue technique qu'émotionnel. C'est un rôle épuisant, écrasant. Pour la première fois, je sortais de scène en étant toujours le personnage. Je faisais les répétitions avec le nez, qui oblige à chanter différemment car, avec un postiche, les résonances ne sont pas les mêmes ». Mais pas de crainte à avoir pour les aficionados du ténor : le chant est toujours aussi bien mené, avec beaucoup de couleur, de legato et la diction est irréprochable.

Pas d'inquiétude non plus avec le reste de la distribution ! Nathalie Manfrino chante, avec beaucoup de souplesse et d'aisance, une Roxanne intelligente, amoureuse du beau langage, du bel esprit. Vaillant, le ténor Richard Troxell est Christian, balourd attachant conscient d'être « sot à s'en tuer de honte ». Jouissant d'une appréciable ampleur sonore, citons Nicolas Rivenq (De Guiche), Marc Barrard (Ragueneau) et Franck Ferrari (Carbon). Enfin, dans des rôles plus discrets, nous avons apprécié la technique et la belle couleur de Hanna Schaer (La Duègne), Richard Rittelmann (Le Bret) et Thomas Dolié (Lignère). À la tête de l'Orchestre National de Montpellier, Marco Guidarini sait apporter délicatesse et précision à une partition qui devrait séduire – n'en doutons pas – un public plus large que les seuls bel cantistes...

SM