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Chroniques
Frank Bridge
Enter Spring – Summer – Two Poems – The Sea (suite)
La collaboration entre James Judd et le New Zealand Symphony Orchestra, dont il est le directeur musical et chef attitré depuis 1999, a déjà donné lieu a une poignée d'enregistrements de musique anglo-saxonne pour Naxos (Copland, Gershwin, Vaughan Williams, etc.) de qualité et d'intérêt assez aléatoires. Ils se retrouvent ici pour une anthologie de poèmes symphoniques de Frank Bridge, compositeur britannique à cheval entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, dont on se souvient aujourd'hui surtout pour avoir été le professeur de Benjamin Britten. Depuis quelques décennies, et notamment sous l'impulsion de son brillant et illustre élève nous redécouvrons ce compositeur néo-romantique (pourquoi néo ? comme disait Honegger) influencé par Richard Strauss et Elgar, qui a composé dans l'ombre de son grand contemporain Gustav Holst.
Le projet discographique de James Judd, visant à compléter notre connaissance d'un compositeur mal connu ne pouvait donc être que louable, d'autant plus qu'autour du grand poème symphonique The Sea (1911) – largement présent au catalogue des maisons de disque depuis assez longtemps –, il propose d'autres œuvres moins célèbres et indéniablement plus mineures : Enter Spring Rhapsody (1927), Summer – Tone Poem (1914), et Two poems for orchestra (1915). Se dessinait donc une alléchante thématique des saisons et des éléments qui pouvait faire espérer la découverte authentique d'un univers musical nouveau. Il est vrai que la mer de Bridge n'est pas aussi étincelante et chatoyante que celle de Debussy, ni même que celle des tableaux symphoniques du Peter Grimes de Britten ; c'est une mer du nord assez prévisible et dénuée de surprise (même la tempête finale semble être annoncée bien à l'avance par la météo marine…) : son été est un peu frais (c'est l'Angleterre après tout…), son printemps symphonique ne nous livre pas des forces de la nature en délire (c'est l'Angleterre…) – un printemps nordique un peu ennuyeux qui nous ferait presque aimer celui de Kabalevski (Op.65), plein de ferveur utopique. Certes, Frank Bridge n'a pas le talent de coloriste d'un Bliss, ni le génie de mélodiste d'un Holst, ni cette faculté à créer de vrais univers musicaux comme Vaughan Williams, mais il reste un compositeur agréable que l'histoire de la musique doit retenir notamment pour sa musique de chambre (dont de très beaux quatuors).
La jaquette nous précise avec une certaine fierté que le New Zealand Symphony Orchestra a enregistré la musique du film Le Seigneur des anneaux. Très bien. Pourquoi pas ? C'est vrai, au fond : faut-il choisir entre Gollum, Gandalf et Frank Bridge ? Mais si cet orchestre des antipodes avait la brillance nécessaire dans Howard Shore, il semble résolument moins dans son élément avec la musique britannique (si britannique…) de Bridge. On a le sentiment que James Judd cherche à puiser dans la partition du prof’ de Britten des éléments de spectaculaire hollywoodien… qu'il peine à trouver. Dans la tempête finale de The Sea, il est très bon, en communion presque parfaite avec ce matériau musical dynamique. Ailleurs il est inégal : la subtilité de l'aquarelle marine qui ouvre le poème symphonique est rendue comme une totalité compacte dont aucun groupe orchestral ne semble se détacher (il réduit cette marine à une reproduction offset monochrome), et Clair de lune, le troisième mouvement, passe à côté de tout traitement poétique, se fourvoyant dans un sirop qui le rattache plus à John Williams qu'à la tradition anglaise. Le reste est à l'avenant : les plans orchestraux sont mal découpés et le son est toujours très homogène comme s'il était compressé. Le livret, assez bref mais intéressant, est en anglais et en allemand. On se tournera plutôt vers le volume n°7 de la série Britten the performer édité par BBC Music, où le petit gars du Suffolk interprète live à la tête de son English Chamber Orchestra The Sea et Enter Spring, deux œuvres maîtresses de son professeur, avec infiniment plus de talent, de poésie, de sympathie amicale et d'empathie britannique.
FXA