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Plusieurs fois récompensé dans son pays – Prix de compositeur de l'Association des Musiciens Suisses (1947), Docteur honoris causa de l'Université de Genève (1949) et de celle de Lausanne (1961), Membre d'Honneur de l'Union Chorale de Lausanne (1973), etc. –, Frank Martin (1890-1974) reste un créateur à découvrir de ce côté-ci des Alpes, tant sa musique s’y joue peu. Parmi les œuvres écrites par ce fils de pasteur qui jamais n’a fréquenté d’institution musicale, d’aucuns peuvent citer la Messe pour double chœur a cappella [lire notre critique du CD], l’oratorio Le vin herbé (inspiré de Tristan et Iseult) [ou les opéras Der Sturm et Monsieur de Pourceaugnac [lire notre chronique du 28 janvier 2007], mais rares sont ceux qui savent que l’élève de Joseph Lauber a aussi composé pour le ballet. Et ce n’est pas le disque qui nous l’aurait enseigné puisque ce Conte de Cendrillon paru aujourd’hui chez Claves s’avère une première mondiale.

Dans les années quarante à cinquante, ainsi que le rappelle Jacques Tchamkerten dans la notice de l’enregistrement, les compositeurs suisses ne sont pas les derniers à écrire pour les danseurs ; citons, par exemple, Jean Binet (L’île enchantée), Henri Gagnebin (Printemps), Hans Haug (L’indifférent), Arthur Honegger (La naissance des couleurs, L’appel de la montagne) et André-François Marescotti (Les Anges du Greco). En 1941, Frank Martin est loin du style postromantique de ses débuts (Trois poèmes païens, 1910) et vient d’achever Le vin herbé – « la première œuvre importante dans laquelle j’ai parlé ma propre langue » [lire notre chronique du 24 janvier 2009]. Il a déjà expérimenté la musique de ballet, mais contrairement à Die blaue Blume (récompensé à Zürich en 1935), Das Märchen vom Aschenbrödel est orchestré de bout en bout, et créé au Théâtre de Bâle le 12 mars 1942, sous la direction de Paul Sacher.

Ce ballet de presque une heure et quart a la particularité de fait intervenir quatre chanteurs qui incarnent tour à tour les différents personnages que Marie-Eve Kreis emprunte au fameux conte des Grimm, Aschenputtel. Le premier acte met en relief la souffrance du rôle-titre dans une maisonnée qui la martyrise, mais aussi son humilité symbolisée par un hautbois, « avec son accent à la fois rustique et profond ». Le deuxième acte voit l’héroïne métamorphosée valser avec son prince. Le troisième, enfin, célèbre « la victoire des bons sur les méchants, de l’esprit sur la matière », dixit Martin. Avec une prédilection pour les marches portées par des cuivres héroïques alla Prokofiev, et des touches de jazz traduisant la vulgarité des sœurs avides, le compositeur convoque des moments plus élégants (danses de cour), voire élégiaques, qui laissent toute leur place à la voix et à la féérie.

À la tête de l’Orchestre de la Haute école de musique de Genève, dont les membres soignent infiniment les traits solistiques de l’œuvre, le violoniste Gábor Takács-Nagy se montre tonique et brillant, à l’instar de l’écriture elle-même. Bien choisis, les quatre chanteurs ne déméritent pas – Clémence Tilquin (soprano), Varduhi Khachatryan (contralto), Alexandra Hewson (soprano) et David Hernandez Anfuns (ténor) dont l’impact et la clarté nous ravissent –, réunis dans des passages tenant de l’héritage madrigaliste (chœur narratif) ou de la formule magique (oiseaux).

LB