Recherche
Chroniques
Franz Liszt
pièces pour piano – pièces pour piano et violoncelle
Une nouvelle fois, le claviériste Jos van Immerseel présente un disque passionnant, jouant les pièces tardives deFerenc Liszt sur deux Érard : un grand piano de concert de 2,48 m réalisé en 1886 et restauré par Fritz Janmaat en 1993 puis par Jan van den Hemel en 1998, utilisé dans les pièces solo ; un demi-queue de 2,12 m daté de 1897 qui n'avait jamais servi lorsque l'interprète en fit l'acquisition en 1976, et qui nécessiterait comme seul rajeunissement le changement des cordes, opéré par Jan van den Hemel en 1998 : il est joué ici dans les œuvres pour violoncelle et piano.
En effet, Jos van Immerseel alterne son programme de cinq pièces qu'il donne avec Sergeï Istomin sonnant un violoncelle bohémien de la fin du XVIIIe siècle dont on ignore le luthier. On a beaucoup glosé sur la modernité inattendue des dernières pages lisztiennes, et tout autant à propos de leur inspiration funèbre. On entendra ici un Schlummerlied im Grabe (1874) désolé mais jamais complaisamment morbide ou dramatique. Après un introït un rien retenu, Istomin se lance plutôt dans une sorte d'élégie hésitante que le pianiste souligne délicatement. Le choix d'un son droit du violoncelle – on pourrait presque dire humble – s'affirme d'autant plus dans l'autant simple que douloureux récitatif qui ouvre Zweite Elegie (1877).
La Romance oubliée (1880) fait alors figure anodine, et il ne saurait être innocent qu'on l'ait précisément placée au centre d'un programme presque uniformément sinistre. Trois ans plus tard, Liszt écrit Die Zelle in Nonnenwerth à partir d'une pièce pour piano seul vieille de plus de quarante ans ; le regard qu'il semble y porter sur l'inspiration de sa jeunesse se colore des accents noirs de la dernière période. C'est avec la seconde partie de La lugubre gondola écrite à Venise peu avant la mort de Wagner que se conclut la contribution du violoncelliste, dans une interprétation superbement portée, plus tragique que dramatique.
Il va sans dire que l'emploi des instruments mentionnés plus haut offre une incomparable couleur à cet enregistrement, une véritable palette dont Jos van Immerseel sait faire usage comme personne. Plus opulent, le grand Érard brille dans La Notte (1866), et distribue le calme égrainement introductif du Wiegenlied (1881) avec une tendresse attachante. L'inquiète Czardas obstinée de 1884 fait tourner les timbres, tandis que les Trübe Wolken posent des questions sans réponse. Le thème parsifalien d’Am Grabe Richard Wagner (1883) y semblera d'une précieuse précarité, plus évidente encore dans la nudité d'Abschied, joué comme un choral à peine ébauché. Le plus austère Unstern ! Sinistre, Disastro, sans doute la dernière pièce de Liszt, demeure désespéré sans que l'illusoire sérénité des Harmonies poétiques et religieuses ne la visite. La perfection aurait sans doute été d'insérer à ce menu la version complète pour piano solo de la Gondole ; mais peut-être le mieux eût il alors nuit au bien, qui sait ?...
BB