Recherche
Chroniques
Franz Liszt
Concerti pour piano n°1 – n°2 – Totentanz
À vingt ans, le pianiste Joseph Moog commence une carrière prometteuse, après que l'eurent distingué plusieurs prix, dont le Philippe Chaignat des Sommets Musicaux de Gstaad en 2006, ce qui nous vaut ce bel enregistrement parrainé à cette occasion.
À jeune homme, jeunes concerti, voilà qui est logique. De fait, Ferenc Liszt a dix-neuf ans lorsqu'il compose son premier, qu'il révisera ensuite, et vingt-huit quand il aborde le second. En général, du Concerto en mi bémol majeur n°1, Joseph Moog livre une lecture qui en fait entendre la modernité dans son époque, sans anachronisme pour autant ; du Concerto en la majeur n°2, il offre une interprétation avantageusement aérienne qui reconsidère l'univers lisztien par-delà les conventions. Dans ces deux pages comme dans la Totentanz qui referme ce programme, soliste et chef avancent main dans la main, en bonne intelligence.
Plus en détail, on remarquera la souplesse de l'orchestre dès les premiers répons de l'Allegro maestoso du Concerto n°1. Le piano s'y fait vaillant et vigoureux tout en soignant la sonorité, toujours joliment respirée. La fluidité des traits véloces et la précision des types de frappe choisis retiennent l'écoute. Voilà un pianiste qui sait inspirer son jeu des phrases de clarinettes ou de violon, dans la rêverie centrale, de même que sa spécificité organologique fécondera l'intervention du basson, venant conclure cet entrelacs de couleurs. Il réserve une articulation raffinée au Quasi adagio suivant, dans une demi-teinte savamment entretenue où le chant demeure toutefois un peu contrit. Au pupitre, Ari Rasilainen soigne attentivement un accompagnement auquel il ménage une certaine distance. Dans le troisième mouvement, Moog emprunte tout naturellement le ton démoniaque cher au compositeur, dans une sécheresse relative assez bien venue, évitant sagement l'écueil d'une accentuation surcontrastée. Si son abord de la reprise de l'ouverture dérogeait à l'équilibre constaté jusque-là, le chef finlandais présente un final dans le respect absolu de l'indication de tempo (que l'on prend souvent trop vif) ; du coup, le pianiste peut à loisir dialoguer avec lui-même. À tous ceux qui attendraient ici des rodomontades avec force effets de manches, disons d'emblée qu'ils ne trouveront pas leur bonheur ! Au contraire : rien d'échevelé dans ce disque, bien que la virtuosité soit au rendez-vous, une virtuosité rendue simple, comme allant de soi.
C'est surtout dans le Concerton°2 qu'on appréciera la connivence entre les artistes. À la belle aura que Rasilainen accorde à chaque timbre dans l'introduction méditative de l'Adagio répond la discrète entrée du piano, bientôt rendu farouche sur le rebond grave. En revanche, on regrettera qu'au relief minutieusement ciselé de l'orchestre, toujours gracieux, succède une enflure un peu creuse du motif de marche où le pianiste accuse un souffle court. Après le tintamarre final, c'est dans du velours qu'il glisse son solo vers le mouvement suivant, calme méditation secrètement mélancolique où le travail des solistes de la Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz fait merveille. L'Allegro deciso révèle la bonne santé d'une exécution ferme s'engageant bientôt dans une réjouissante vélocité, avant un retour à la rêverie éclairé par un chambrisme simplement exquis. Le très bref épisode final rencontre ici une sobriété inattendue.
Si le n°1 charme et si le n°2 étonne, la Totentanz ravit ! Ari Rasilainen lui réserve une attaque d'une violence mafflue qui, d'une certaine manière, annonce Chostakovitch. Joseph Moog s'y montre à la fois bien ancré dans le clavier, toujours inventif et finement nuancé, jouant délicatement sur la dynamique des soli tout en soulignant l'écriture polyphonique, de sorte qu'il chasse efficacement l'aspect numéro de cirque de cette page. Aussi le chef sait-il faire passer le pire de cette partition souvent perçue comme rocambolesque ; c'est un tour de force ! Une fois de plus, la rigueur est ici salvatrice, d'autant qu'elle n'exclut pas un moelleux parfois debussyste du toucher auquel vient exquisément s'opposer la clarté du climat, dans une tonicité féline du fugato, par exemple. Voilà qui nous convainc aisément de signaler ce CD d'une Anaclase ! venant tout autant saluer le splendide travail du chef et de l'orchestre qu'encourager un jeune talent.
BB