Recherche
Chroniques
Franz Schreker
Der Schatzgräber | Le chercheur de trésor
Le 25 avril 1918, au public ravi de la Frankfurter Opernhaus, Franz Schreker (1878-1934) offre Die Gezeichneten [lire notre critique du DVD], « mélange de luxuriance et d’audace sans retenue, allié à une image touffue et débridée de la modernité », comme l’exprime Adorno, qu’une vingtaine de théâtre va bientôt programmer [lire nos chroniques du 27 avril 2013 et du 18 avril 2004]. Encouragé par ce nouveau succès à mi-chemin entre tradition et avant-garde, le plus sérieux rival de Richard Strauss met en chantier un livret autour de la figure du demi-dieu gréco-égyptien Memnon (fils de l’Aurore tué par Achille lors de la guerre de Troie), mais se détourne du projet pour concevoir, en trois jours, celui d’Irrelohe [lire notre critique du CD] – un ouvrage qui verrait le jour en 1924, à Cologne.
Mais pour l’heure, il s’agit surtout de veiller à la première de Der Schatzgräber, conçu entre 1915 et 1918, puis créé à Francfort le 21 janvier 1920. De même que le nom d’une gare perçue dans le demi-sommeil d’un voyage fut un accès aux « flammes de la folie », c’est une rencontre surprenante qui fait la clé de ce Chercheur de trésor : celle d’une jeune fille déguisée, avec un luth, chantant « d’une voix douce et touchante de vieux chants populaires, des ballades oubliées », lors d’une soirée éclairée aux chandelles. Tout est en place pour un conte médiéval en quatre actes, avec prologue et épilogue !
Parce qu’une Reine se languit d’un collier disparu, un Fou part en quête du ménestrel Elis dont le luth enchanté permet de trouver des trésors. Pendant ce temps, le musicien retrouve le bijou près d’un cadavre (qu’il ne voit pas) et l’offre à une jeune fille dans une auberge, Els. La passion s’empare d’eux. Après bien des péripéties (accusation de meurtre, vol de son luth), Elis rapporte le bijou chez la Reine, tandis qu’on apprend la vérité : le cadavre est celui d’un complice d’Els que celle-ci avait envoyé pour s’emparer du collier qui la fascinait, avant de le faire assassiner. L’assemblée est horrifiée, mais le Fou la réclame comme compagne en récompense de ses efforts. L’ultime scène réunit Elis, compatissant, et Els à l’agonie.
À l’instar de Der ferne Klang [lire notre critique du CD], cet enregistrement reprend le contenu d’un coffret avec livret déjà édité par Capriccio il y a un quart de siècle : celui d’une captation à la Hamburgische Staatsoper, en mai-juin 1989. Le moins qu’on puisse dire est que s’y retrouvent des artistes sonores, au format généreux, parmi lesquels Harald Stamm (Le Roi), Hans Helm (Le Bailli), Heinz Kruse (Albi), Carl Schultz (L’Hôtelier), Franz Ferdinand Nentwig (Le Jeune seigneur) ou encore le mordant Urban Malmberg (Le Comte / Le Héraut).
Entraînés par un Philharmonisches Staatsorchester onctueux, souple et chatoyant conduit par Gerd Albrecht, ils sont au diapason du trio principal : Gabriele Schnaut (Els), soprano dramatique qui offre ici une expressivité multiple, de la fulgurance machiavélique (Acte I) à la tendresse d’un souvenir maternel (Acte III) – depuis sollicitée par Rihm et Widmann, pour Das Gehege et Babylon [lire notre chronique du 21 juillet 2013] – ; Josef Protschka (Elis) tout en couleur et vivacité, ainsi que Peter Haage (Le Fou) au ténor clair, incisif et nuancé. L’occasion de (re)découvrir un ouvrage trop rare sur les scènes.
LB