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Chroniques
Franz Schubert
Alfonso und Estrella | Alphonse et Estrella
Ce n'est pas la partie la plus connue de son travail, mais Franz Schubert composa une dizaine d'œuvres pour le théâtre – sans compter la demi-douzaine d'opéras inachevés… Trois créations eurent lieu de son vivant : le singspiel Die Zwillingsbrüder (1819), la féerie Die Zauberharfe (1820) et les musiques de scène pour Rosamunde (1823). Si on ajoute au peu de succès qu'elles rencontrèrent l'absence de commandes des théâtres viennois, on peu dire que les efforts, voire l'obstination de Schubert dans ce domaine, n'ont pas été récompensés.
Alfonso und Estrella fait partie de la poignée d'opéras qu'il eût le temps de terminer, parmi lesquels Des Teufels Lustschloss (1814), Sacontala (1821) et Fierabras (1823). L'œuvre fut composée entre le 20 septembre 1821 et le 27 février 1822, d'après le livret d'un ami, Franz von Schober, et vit le jour en 1864 seulement, à Weimar, grâce à l'engagement de Liszt. Ce premier grand opéra allemand de Schubert ne comporte aucun des éléments surnaturels qui firent le succès de Freischütz, composé à la même époque. Le climat romantique, malgré des allures de conte – à la manière de Pelléas et Mélisande –, y est rationnel.
En Espagne, le roi Froila est en exil depuis vingt ans déjà. Il vit dans les montagnes avec son fils Alfonso. Ce dernier rencontre par hasard Estrella, fille de Mauregato, l'homme qui a chassé son père du trône ; les jeunes gens tombent amoureux. Cependant, Adolfo, un officier de Mauregato, repoussé par Estrella qu'il souhaiterait épouser, organise une révolte. Alfonso sauve la situation et le pardon sera accordé à tous. Remarquons que les personnages ne sont pas des archétypes : si l'officier est pour la princesse « un homme répugnant et grossier », il est aussi un homme amoureux, et si le nouveau roi est pour Adolfo « un lâche paresseux », il cherchera une astuce pour sauver sa fille de ce mariage non souhaité.
L'opéra en trois actes est constitué de trente-quatre parties, dont treize duos. C'est dire que l'action n'est pas le fort de cette œuvre paisible. En plaçant les chanteurs dans un décor unique de nature morte post-baroque (amoncellements d'instruments de musique qui composent un paysage), Luca Ronconi a pris le risque d'ennuyer le spectateur. Mais aurait-il fallut inventer des changements de décors inutiles, plaquer un rythme artificiel sur un ouvrage qui ne s'y prête pas ? Le metteur en scène a agit sagement ; il a cependant prévu un doublage de l'action par des marionnettes placées sur une scène, à l'arrière-plan, qui donne du relief sans rien dénaturer.
C'est une belle distribution, bien caractérisée, qui mettait de la vie dans cette production du Teatro Lirico di Cagliari, en janvier 2004. Eva Mei incarne Estrella avec un talent égal à celui de sa récente Thaïs [lire notre critique du DVD].Markus Werba, trentenaire maquillé en vieux roi Froila, est vaillant, nuancé, jouissant d'aigus souples et doux. Autre baryton, Jochen Schmeckenbecher, chante Mauregato avec des aigus très cuivrés qui se déploieront surtout au deuxième acte. Alfred Muff n'est pas un Adolfo toujours très stable, mais il fait preuve de vaillance et ses graves sont très sonores. Rainer Trost, enfin, jeune Alfonso oppressé par les montagnes, possède lui aussi de beaux graves ; le ténor chante souvent en voix mixte, et sa prestation est une des nombreuses belles découvertes de cette rareté.
Le Chœur du Teatro Lirico sait faire preuve de légèreté, mais semblera par là même de plus en plus mou et lointain. Gérard Korsten, à la tête de l'orchestre de la maison, conduit avec dynamisme et élégance une musique qui rappelle l'influence de Weber et Beethoven sur le compositeur de vingt-cinq ans.
LB