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Chroniques
Franz Schubert
pièces pour piano
Un ravissement qui toujours se renouvelle ! Ainsi pourra-t-on parler du jeu de Guillaume Coppola. Si l’on avait apprécié son portrait de Ferenc Liszt, il y a quelques années, et plus encore son enregistrement des Danzas españolas Op.5 d’Enrique Granados, d’une tenue exemplaire, l’album qu’il dédie aujourd’hui à Franz Schubert s’impose d’emblée comme une référence. On y retrouve l’extrême délicatesse du toucher et la ciselure du contraste, parfaitement compatible avec une certaine fantaisie dans la rigueur du trait, qui font la signature du jeune pianiste. Outre ces qualités proprement pianistiques, encore faut-il souligner une démarche tant fidèle qu’inspirée qui le sacre honnête homme, comme eut dit l’autrefois, quand la tendance du temps se résume trop souvent à l’esbroufe.
« Un été, j’ai posé sur le pupitre du piano l’un des recueils de danses de Schubert », annonce l’artiste dans la brochure du CD. Bonne idée ! Ainsi livre-t-il une interprétation prodigieusement savoureuse des trente-quatre Valses sentimentales D779, dans une inflexion heureuse qui invite à trouver là quelque havre de paix dans la tourmente schubertienne. Il y soigne une sorte de fierté du pas, mâtinée de cette souplesse toute viennoise dont avec évidence il transmet le charme. Simple, Schubert ? Certes non, jusqu’en ses miniatures, loin s’en faut. Pourtant, sous les doigts de Coppola, les valses suivent mine de rien leur petit bonhomme de chemin, jamais trop brillantes, parfois faussement timides, presque narquoises par moments, à d’autres envahies d’une mélancolie humble (Valse en ut n°30), sitôt contredite par des hâbleries qui n’en sont pas vraiment, au fond. Le ton n’est pas au triomphe du bal : esquisse qui sait se taire à peine tracée, la danse n’est qu’un dessein de danse, pourrait-on dire. Le pied s’y perdrait, comme en cette Valse en sol n°10 qui fait s’effondrer les crinolines ! Ne parlons pas de la Valse en la n°13, amoureuse…
La pureté de l’approche met de son côté un atout de poids : il s’appelle Steingraeber E272. L’habitué (pour ne pas oser dire l’intoxiqué…) de l’incontournable Steinway y perdra-t-il l’oreille ? Tout à gagner, au contraire, dans l’usage avisé de cet instrument qui, comme peu d’autres – sauf à convoquer d’historiques crocodiles –, rend idéalement compte du paradoxe schubertien où le perlé édifie la phrase dans le moelleux d’une pédale… sèche ! Il n’est guère que chez Debussy qu’on croise telle exigence, la couleur en sus. La sonorité vous semble un peu « vitrée » dans l’aigu ? Cela s’appelle de la vigueur. Le Lied n’est pas loin (Valse en mi bémol n°28, par exemple), mais si le chant s’y élève si facilement (dix-huitième Valse, et durant les six suivantes), c’est à l’art du pianiste qu’on le doit.
L’ombre de fermeté des douze Valses nobles D969 le dispute à la certitude de tendresse des autres. On admire la moire particulière de celle en ut n°3, la plus développée du cahier : Guillaume Coppola en étrive les humeurs avec une sensibilité bien à lui. Quant à la candeur de la Valse en fa n°10, elle donne le frisson. En cette précieuse marqueterie se mirent les trois mouvements de la Sonate en la mineur D537 dont l’opiniâtre Allegro ma non troppo initial embue d’un drame rentré les vernis du quadrille. À la faveur de ce radical changement de format le musicien révèle un autre souffle, généreux mais aussi plus sévère, qu’un génie de la dynamique conduit non sans vertige – splendide ! Récitaliste et soliste, Coppola ne dédaigne pas d’accompagner la voix, tel qu’il le fit d’ailleurs si bien des mélodies de Poulenc [lire notre critique du CD] : c’est ce talent-là qu’il met en œuvre dans l’Allegretto. Je vous laisse découvrir la fougue du dernier épisode… et la tonique tristesse de l’Ungarische Melodie D817 qui scelle cette galette que d’enthousiasme nous saluons d’une Anaclase!, sans hésiter.
BB