Chroniques

par michel slama

Franz Schubert
pièces pour piano

1 CD Mirare (2015)
MIR 240
Schubert par Shani Diluka, un CD Mirare

Des fragments aux étoiles – un nouvel hommage à Olivier Messiaen ? Non, sous ce titre, Shani Diluka propose aujourd’hui chez Mirare un programme entièrement dédié à l’œuvre pour piano de Schubert. C’est un florilège de petites pièces, en majorité méconnues, qui côtoient des œuvres plus importantes et plus fréquentées au disque, comme l’Ungarische Melodie en si mineur D.817et, surtout, la célèbreSonate en si bémol majeur D.960 qui pourrait à elle seule remplir ce CD avec ces cinquante-deux minutes.

Le début du XIXe Siècle est marquée par les guerres napoléoniennes qui embrasent l’Europe et n’épargnent pas la Vienne de Beethoven et de Schubert, en pleine mutation. À partir de 1813, l’Autriche retrouve la paix et l’époque est particulièrement propice à célébrer la danse, sous toutes ses formes. La valse en est, bien sûr, la star incontournable, même si elle est réprouvée par l’idéologie bien pensante, mais de nombreuses danses folkloriques voient le jour, comme ces Ländler et ces mouvements d’inspiration populaire qu’apprécie une bourgeoisie qui va s’accaparer les exécutions musicales réservées jusqu’alors à une aristocratie fortunée. Les salles de concert sont de dimensions de plus en plus imposantes et les instruments évoluent en effectif et en puissance.

La première partie du programme est donc consacrée à ces délicieuses miniatures folkloriques que sont les brèves Deutscher Tänze et Waltzes qui inspireront Fryderyk Chopin de façon flagrante : à plusieurs reprises, l’auditeur croira découvrir des opus inédits du compositeur franco-polonais.

Shani Diluka présente ainsi une Valse noble Op.33 n°10 et une Valse sentimentale Op.50 n°13, extraites respectivement des recueils D.969 et D.779 composés en 1823 par Schubert. En 1911, Maurice Ravel dédiera au Viennois ses huit Valses nobles et sentimentales d’abord composées pour le piano.

La pianiste monégasque d’origine sri-lankaise s’y montre parfaitement à l’aise avec la naïveté, la mélancolie et la tendresse attendues, sachant à merveille alterner les différentes émotions de l’auteur de Fierrabras [lire notre chronique du 16 août 2014]. L’artiste déploie un raffinement et une grâce qu’elle maintient pour l’ultime Sonate crépusculaire, lui ôtant peut-être un peu de la nostalgie douloureuse qu’on a coutume d’y trouver.

Se mesurer aux grands pianistes schubertiens qui ont embrasé cette œuvre monumentale est un défi que soutient la belle Shani. Elle propose une vision « baroque » par une approche pianofortiste fidèle à la conception originale de ces pages. Même si le monumental premier mouvement Molto moderato et, plus encore, le deuxième, Andante sostenuto, manquent un peu de cette urgence dramatique qu’on est habitué à entendre, la musicienne nous comble par un kaléidoscope de nuances subtiles, n’hésitant pas à en contraster les effets pour notre plus grand bonheur, la légèreté aérienne faisant place à une profondeur empathique pour cette œuvre ardue, dont l’émotion est si difficile à soutenir dans sa continuité.

Un très bel enregistrement.

MS