Chroniques

par hervé könig

Franz Schubert
Sonate pour piano D850 – Lieder

1 CD EMI Classics (2003)
7243 5 57460 2 3
Franz Schubert | Sonate pour piano D850 – Lieder

La Sonate pour piano en ré majeur D850 fut composée assez rapidement par Schubert à la fin de l'été 1825. Parti de Vienne avec le baryton Johann Michael Vogl, ils voyagèrent une grande partie de l'année et le dépaysement joua beaucoup sur la production du compositeur. Cette joie du voyage, dans une nature printanière et estivale, se ressent dans le premier mouvement (Allegro) : rythme et triolets énergiques, glissements de tonalités pittoresques, citation discrète du jodeln tyrolien... Le tout reste cependant très cohérent. La richesse indéniable des textures, le foisonnement rythmique de cette page qui en font une des plus dramatiques d'un Schubert qui aurait ici laissé sa pelure de contemplatif au vestiaire, se trouvent parfaitement mises en relief par l'interprétation brillante du pianiste norvégienLeif Ove Andsnes. Il propose une véritable plongée dans l'atelier du musicien, dans la grande forge névrotique d'un voyageur imaginaire à sa table mal éclairée. Andsnes sait cultiver le dépouillement nécessaire à ce répertoire, prolongeant ici son très bel enregistrement de la Sonate D959 paru au printemps [lire notre critique du CD]. Son approche s'affirme par l'intériorité du jeu, distribuant avec parcimonie et mesure les couleurs délicates d'une palette choisie. Il donne ici un Scherzo inquiet sans être nerveux, ouvrant l'œuvre par unAllegro désespérément hilare. Sa proposition marie parfaitement la sorte de distance que put y mettre Alfred Brendel à l'instabilité de Sviatoslav Richter. Indéniablement, Andsnes est un immenseschubertien, et l'on espère l'entendre, un jour, dans laSonate D960.

Deux des six Lieder suivant composés sur des poèmes d’August et Friedrich Schlegel,Fülle der Liebe (Plénitude de l'amour) et Wiedersehn (Revoir), sont liés à cette période de vacances évoquées plus haut. La musique transcende la plainte et les larmoiements du poète. Les autres compositions sont antérieures : Der Wanderer (Le Voyageur) donne la parole à une Lune bonne conseillère, Vom Mitleiden Mariä (De la compassion de Marie) décrit la Vierge au pied de la Croix, Im Walde (Nuit de la Forêt) évoque le souffle de l'esprit qui règne sur la forêt nocturne, Der Schmetterling (Le Papillon) rapporte à nos oreilles la joie de vivre et l'immense liberté de l'insecte : « Je me délecte des fleurs / Vous ne pouvez m'en empêcher ». Belle métaphore du créateur !

Comme pour le précédent enregistrement d’Andsnes, ces Lieder viennent compléter une galette qui aurait pu avantageusement s'en passer. Le ténorIan Bostridge, qui déjà nous avait peu convaincu sur le premier essai, continue de distordre chaque phrase par l'insuffisance d'un timbre devenu de plus en plus aigre et réduit. Rien de convainquant à son Winterreise tourné ici et là avec Andsnes ou Drake, d'ailleurs, et ce disque ne laisse rien augurer de passionnant pour le Schwanengesang qu'il s'apprête à promener de même cette saison.

HK