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Chroniques
Franz Waxman
Rebecca
L'édition Film music Classics de Naxos nous a déjà permis de découvrir, sous la baguette d'Adriano, de nombreuses œuvres musicales de premier plan, écrites par de grands compositeurs pour le compte de l'industrie cinématographique – Les Misérables d’Honegger [lire notre critique du CD] ou La Belle et la Bête d'Auric [lire notre critique du CD]. Avec le disque consacré à la copie que Franz Waxman (1906-1967) rendit pour le film Rebecca, cette collection permet d'entrer de plein pied dans le monde de la musique de film – Waxman ne s'étant pas particulièrement distingué en dehors de cette discipline.
Rebecca (1940) est le premier film américain d'Alfred Hitchcock, produit par le grand David O. Selznick pour le compte de la Metro-Goldwyn-Mayer. Waxman travailla pour MGM de 1936 à 1943, et la musique qu'il composa pour Rebecca reste l'œuvre la plus achevée et la plus emblématique de son univers impressionniste et néoromantique. Si la critique de l'époque, parfois assez cruelle, compara négativement le film avec Autant en emporte le vent de Victor Fleming, la partition de Waxman est largement à la hauteur du chef-d'œuvre que Max Steiner écrivit pour décrire les tourments de cette chère Scarlett.
L'œuvre originale de Waxman comportait soixante-et-onze petites pièces musicales éparses, représentant un peu plus de deux heures de musique (sur les deux heures et douze minutes du film, c'est dire l'aspect proprement mélodramatique, au sens propre, de ce cinéma romantique américain des années trente-quarante) ; Adriano en tire une longue suite de soixante-douze minutes, rassemblant la quintessence de cette page, excluant notamment des séquences reprises d'autres opus de Waxman, voire d'autres compositeurs de l'écurie MGM. Le résultat est une réussite totale : Adriano évite les répétitions thématiques trop obsédantes, mais souvent inévitables dans une écriture dominée par l'emploi de leitmotivs, et construit une logique dramatique progressive et parfaitement cohérente en dehors du récit filmique.
Si l'on se souvient plus souvent de sa partition pour Fenêtre sur cour (1954), Rebecca révèle davantage l'héritage musical personnel de Waxman, ancré dans la culture de l'Europe centrale du début du siècle dernier, par certains égards proches de Richard Strauss, de Mahler, mais aussi de Schönberg. Né en Allemagne, Waxman acquiert une éducation musicale des plus classiques à Dresde et Berlin, qu'il finance en étant plus ou moins pianiste d'ambiance dans des night-clubs. Arrivé aux États-Unis au début des années trente, il collabore très vite avec MGM ; s'en suit une carrière brillante, mais dans l'ombre du charismatique Max Steiner et plus tard dans celle du génial Bernard Hermann.
Waxman comprend parfaitement les méandres du scénario de Rebecca, centré sur une sombre demeure britannique, Manderley, hantée par l'ancienne maîtresse de maison. La partition hésite à chaque numéro entre l'oppression romanesque de cette image du passé, parfaitement obsédante, et la vitalité des vivants confrontés au souvenir. Bien que certains le jugeront outrancier et daté, le langage très Mitteleuropa de Waxman, avec des adjonctions américaines de circonstances venant ajouter de l'emphase à un lyrisme déchirant, touche encore au but : nous donner des frissons. On notera que le thème du rôle-titre est confié à l'étonnant Novachord : étrange synthétiseur polyphonique à lampes de 1937, il est en quelque sorte l'ancêtre de l'orgue Hammond, et souligne ici l'irréelle et fantomatique présence féminine.
L'enregistrement d'Adriano, à la tête de l'improbable Orchestre Symphonique de la Radio Slovaque, est irréprochable, sans pathos excessif ni lyrisme grandiloquents. Le livret – en anglais seulement – est très bien documenté, et de plus signé par le fils de Waxman lui-même.
FXA