Chroniques

par pierre-jean tribot

Frieder Obstfeld et la Westfälische Kammerphilharmonie
Haas – Krása – Martinů – Schreker

1 CD EDA (1996)
EDA 009
Frieder Obstfeld joue Haas, Krása, Martinů et Schreker

Le courageux label allemand EDA nous offre un panorama de différentes pièces pour orchestre à cordes composées par des compositeurs qualifiés de dégénérés par les nazis. Déportés et morts dans les camps, Pavel Haas et Hans Krása furent des figures marquantes de la musique d'Europe centrale de l'Entre-deux-guerres. Ils sont représentés par deux pièces composées au camp de Terezín, en 1943 et 1944.

L'étude pour orchestre à cordes (Studie für Streichorchester) de Pavel Haas fut dirigée à plusieurs reprises par Karel Ančerl qui sauva l'unique exemplaire des parties d'orchestre. Finalement, la partition fut éditée en 1991 par Lubomir Peduzzi, le biographe du compositeur. Cette pièce s'est désormais imposée comme un tube. La musique est, en effet, des plus séduisantes, avec son ton mélancolique mêlé à une luminosité et une légèreté inattendues.

Déporté dès 1942, Hans Krása composa à Terezín de nombreuses pièces, dont son célèbre opéra Brundibár [lire notre critique du CD]. Sa brève Ouverture pour petit orchestre flatte par sa variété rythmique enjouée mais minérale et abrupte dans ses enchaînements.

Franz Schreker est représenté par trois partitions, deux pièces pour orchestre à cordes nommées Intermezzo et Scherzo, mais surtout par la superbe pantomime Der Wind. Chorégraphiée par les sœurs Grete et Elsa Wiesenthal, la pièce fut retirée du répertoire des deux danseuses après quelques représentations, considérée comme trop sophistiquée par leur agent. Composée selon un scénario en prose de Grete Wiesenthal, cette œuvre est écrite pour un quintette inhabituel regroupant piano, cor, violon, clarinette et violoncelle ; elle témoigne d'un grand raffinement et montre que Schreker était capable de faire sonner avec tact et volupté un tout petit ensemble.

Le programme se termine par l'agrandissement pour orchestre à cordes du très tendu et dramatique Sextuor à cordes de Bohuslav Martinů. Chaque note semble ici porter le poids de l'Histoire.

Assez peu médiatisée, la Westfälische Kammerphilharmonie, sous la direction efficace et précise de son chef Frieder Obstfeld, est l'interprète parfait pour nous guider dans les méandres de ces partitions qui enrichissent notre connaissance de la création de cette époque troublée. Une intéressante notice de présentation (bien que non traduite en français) et une superbe prise de son offrent des atouts supplémentaires à ce très beau disque.

PJT