Chroniques

par laurent bergnach

Fryderyk Chopin – Józef Elsner
trios avec pianoforte

1 CD Profil / Hänssler (2016)
PH 16069
Chopin (1810-1849) et Elsner (1769-1854) par le Trio Margaux

Formé de Beni Araki (pianoforte), Christoph Heidemann (violon) et Martin Seemann (violoncelle), le Trio Margaux s’est spécialisé dans la musique classique et romantique sur instruments d’époque. Ici, nous entendrons Chopin sur un pianoforte conçu à Vienne par Johann Fritz (vers 1820) et Elsner sur la copie par Robert Brown d’un Michael Rosenberger (1805) – lui-même sur les traces du grand facteur allemand Johann Andreas Stein, réputé pour coupler clavecin et piano en un même instrument.

Józef Elsner (1769-1854) naît à Grodków, ville du sud-ouest de la Pologne, dans une Silésie qui déborde sur l’Allemagne et la République tchèque. Orienté vers la prêtrise et la médecine, il choisit de devenir musicien, mais une centaine de ses œuvres garde un lien avec la religion (messe, offertoire, oratorio, cantate, motet). D’abord violoniste à Brno, il devient second maître de chapelle à l’Opéra de Lviv – capitale d’une Galicie alors sous domination autrichienne (Lemberg). En 1799, il s’installe finalement à Varsovie où il dirige, durant un quart de siècle, le Théâtre national. Elsner enseigne également au conservatoire. Il compte parmi ses élèves Fryderyk Chopin, un jeune homme aux capacités surprenantes, qualifié de « génie musical », dont il suit l’évolution de 1823 à 1829, d’abord lors de cours privés puis en institution. Célèbre pour dynamiser la vie culturelle, Elsner inaugure l’emprunt de motifs folkloriques et écrit quelques ouvrages théoriques sur les relations entre langue et musique, lesquels trouvent une résonnance dans vingt-deux livrets en polonais de ses opéras oubliés.

Publié à Vienne sous le titre Grand sonate en si bémol majeur pour le clavecin ou pianoforte avec accompagnement d’un violon et violoncelle obligé Op.2, le Trio en si bémol majeur Op.2 (1798) trouve sa forme en trois mouvements chez Haydn et Mozart. Un violon lumineux porte l’Allegro très volontaire, avant un Larghetto de belle facture qui ne concurrence pas la démesure de Beethoven, mais annonce Schubert par une amorce de danse populaire. Le Rondo final retrouve le souvenir de la Vienne classique.

C’est dans une Pologne en proie à d’incessants partages (1772, 1793, 1795) que s’installe le précepteur vosgien Nicolas Chopin, en 1787. Sa femme Justyna y donne naissance à trois filles et à Fryderyk Franciszek (1810-1849). Préférant Bach à Hummel, le violoniste Wojciech Żywny est son premier professeur de piano, bientôt relayé par le pianiste Václav Würfel qui l’initie à l’orgue, et par Elsner à l’harmonie, tous deux adeptes du style brillant alors en vogue. Avant même la fin de ses études au conservatoire, il écrit un Trio en sol mineur Op.8 (1828) qui prouve sa maîtrise des procédés classiques – avec différents degrés d’originalité, selon les commentateurs.

Le bien-nommé Allegro con fuoco plonge l’auditeur dans un romantisme échevelé. Un pianoforte à l’articulation soignée favorise ce climat, car la résonnance typique de la corde n’occasionne pas de rupture avec les deux instruments qui l’accompagnent. Plus classique, le Scherzo avance, fluide et gracieux, sans jamais s’alanguir, tout comme l’Adagio qui s’ensuit. On apprécie le grain du violoncelle dans un mouvement où pointe l’influence du bel canto, cher à Chopin. Enfin, il semble que Brahms s’annonce dans le Finale très polonais, ouvert par une mazurka de caractère au clavier.

LB