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Chroniques
Fryderyk Chopin
pièces pour piano
Plusieurs années ont passé depuis qu’il nous fut donné d’entendre Jean-Paul Gasparian. Le programme de son récital du 15 janvier 2016 affichait des pages de Boulez, de Rachmaninov et de Chopin. Nous retrouvons le compositeur franco-polonais non plus à travers son opus 28, comme alors [lire notre chronique], mais via un florilège dont les quatre Ballades font d’entrée le plat de résistance. Aux indéniables qualités de jeu relevées il y a quatre ans s’ajoute aujourd’hui une relative liberté de respiration qui en rehausse la grâce. La Ballade en sol mineur Op.23 n°1 laisse entendre une approche à juste titre tendue mais jamais crispée. À l’opposé de la sonorité profonde récemment appréciée sous d’autres doigts [lire notre critique des Valses par Aimo Pagin], une sécheresse paradoxale s’impose ici, contrariée par une pédalisation parfois trop généreuse qui nuit à la clarté qu’elle promettait pourtant.
L’extrême délicatesse de l’Andantino qui ouvre la Ballade en fa majeur Op.38 n°2 relève de ces raffinements qui laissent songeur. La tonicité de son interruption par le motif Presto flamboie comme mille diables ! La reprise du thème, puis son développement, renoue avec l’aimable finesse liminaire, épicée par le frisson più mosso, avant un nouveau surgissement du feu, dûment mené jusqu’au brasier lisztien de l’Agitato. Des trésors de nuance sont déployés dans la Ballade en la bémol majeur Op.47 n°3 dont la pudeur douce se colore bientôt d’inquiétude, avant le grand geste triomphal dont Jean-Paul Gasparian se joue aisément. Enfin, avec son chant infiniment discret, parfois aux confins du non-dit, l’interprétation de la Ballade en fa mineur Op.52 n°4 charme le plus assurément l’écoute, au fil d’un chemin parsemé d’aspersions debussystes, conclu en fougue échevelée.
La seconde partie de cette galette alterne polonaises, valses et nocturnes. Ainsi du Nocturne en ut mineur Op.48 n°1 soigneusement articulé, avançant prudent amble vers un déchaînement qui, avec évidence, annonce Rachmaninov. Ainsi de l’ô combien méditatif Nocturne en ré bémol majeur Op.27 n°2, ici quasi fauréen dans sa tendresse consolatrice – fort beau moment du présent enregistrement. À la mécanique bien huilée de la Grande valse brillante en fa majeur Op.34 n°3 l’on préfère les échos capricieux de la Valse en mi mineur Op.Posth., l’expressivité l’emportant sur la performance. Célébrissime, au même titre que l’Étude en ut mineur Op.10 n°10, surnommée révolutionnaire quand l’adjectif héroïque distingue l’œuvre qui nous occupe, la Polonaise en la bémol majeur Op.53 bénéficie d’une lecture plus élégante que martiale, dotée d’un moelleux qui déjoue ingénieusement les habitudes. Le bref ostinato du trio médian n’en semble que plus inexorable. Écrite entre la Troisième (1835) et la Quatrième Ballade (1848), la Polonaise-fantaisie en la bémol majeur Op.61 (1846) en épouse plus certainement le caractère qu’elle ne s’insère dans le canon à déterminer son titre. Dans cette dixième plage de son CD, le pianiste paraît le plus à son affaire, convoquant une sensibilité saisissante qui n’a que faire d’alourdir frappe et pédalier. Aussi sommes-nous convaincus que le jeune musicien (vingt-quatre ans) promet : à suivre…
BB