Recherche
Chroniques
Gérald Arnaud – Henri Lecomte
Musiques de toutes les Afriques
Après Americana, histoire des Musiques d'Amérique du Nord d'Herzhaft [lire notre critique de l’ouvrage] et Música cubana de Balen [lire notre critique de l’ouvrage], Fayard poursuit ses publications consacrées aux musiques dites populaires (uniquement en opposition à celles des traditions dites savantes) avec cette somme imposante que les auteurs, le journaliste Gérald Arnaud et le chercheur Henri Lecomte, dédient aux jeunes Africains et à leurs ancêtres.
Ce n'est qu'à l'aube du XXe siècle que le Berlinois Otto Abraham commença de collecter les musiques d'Afrique, soit relativement tard par rapport aux autres parties du globe. Tandis que son prédécesseur avait capté des musiciens sud-africains sans se déplacer de la capitale, Meinhof effectuerait les premiers enregistrements de terrain en 1903. On a souvent entendu ici et là qualifier l'Afrique d'insaisissable ; certes, on ne saurait saisir ce que l'on ne daigne pas même regarder (cette remarque amère n'engage que le signataire de cet article) : car enfin, si le livre rend justement hommage à plusieurs chercheurs qui ont rassemblé un matériau précieux, il rappelle qu'en France, puissance qui n'est pas sans s'enorgueillir d'une présence outre-mer – comme en témoignage actuellement l'inquiétante vague de réhabilitation des valeurs de la colonisation –, il faudrait attendre les années soixante et l'arrivée de Charles Duvelle pour que s'engage une vraie collecte. Moindre mal, se dira-t-on, en lisant, en fin de volume, qu'il « est encore possible aujourd'hui en Afrique d'écouter des musiques qui n'ont sans doute guère changé depuis plus de mille ans ».
Orientant la lecture selon des critères géographiques et, principalement, ethnologiques, l'ouvrage offre un exposé systématique et détaillé des cultures musicales de chaque peuple et de chaque région, sans omettre de consacrer tout un chapitre à la présentation scientifique des instruments, classés par familles organologiques (idiophones, lamellophones, membranophones, aérophones, cordophones). Se gardant d'investigations hasardeuses tout en remettant en question de nombreuses idées reçues, remontant jusqu'aux pratiques musicales des empires pharaoniques du XXVIIe siècle avant J.C., s'interrogeant sur le double emploi ou non de l'arc, tour à tour chasseur ou musical, apportant de multiples précisions quant aux mouvances des peuples d'Afrique à travers les âges, cette remarquable étude réussit un exercice difficile entre tous : décrire la musique, nous donnant presque à l'entendre, ou la danse qu'elle laisse quasiment voir.
Il y inévitablement une dimension politique et historique à voyager ainsi dans des cultures à la fois richement diversifiées et souvent proches. On relèvera le mérite de nous rendre compréhensible le détail des luttes africaines, souvent inextricables pour des Européens. Les chapitres suivent un schéma clair : histoire de la région traitée, du ou des peuples concernés, exposé des musiques traditionnelles pratiquées en milieu rural ou en grande région, approfondissant parfois jusqu'à leurs possibles origines, puis abord des musiques urbaines et des diverses influences qu'elles subissent ou qu'elles génèrent, ainsi que de leur commercialisation. Passionnant s'avèreront les pages consacrées au griotisme, à l'Éthiopie, aux orchestres de cour de l'Afrique des Grands Lacs et sur l'Afrique du Sud (une partie qui, malheureusement pour nos bonnes consciences, donne la chair de poule).
Sur un ton qui, sans susciter de polémique, ne mâche pas ses mots, ce livre n'a rien d'un énième voyage vers l'authenticité fantasmée et, bien au contraire, nous initie aux réalités de son sujet. De fait, il s'intitule Musiques de toutes les Afriques, ce qui indique clairement que les sons évoqués sortiront ou entreront du grand Continent Noir, considérant un temps qu'on ne saurait arrêter.
BB