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Chroniques
Gérard Grisey
Écrits ou l'invention de la musique spectrale
Admirateur de Messiaen (Le Père), Stockhausen (le Fils) et Ligeti (Le Saint-Esprit), connu comme l'un des initiateurs de la musique spectrale à l'aube des années quatre-vingt – lui proposait plutôt l'adjectif différentielle, liminale ou bien transitoire –, Gérard Grisey (1946-1998) a beaucoup décrit son approche du son, à divers moments de sa vie : « Dans ma musique, le son n'est jamais considéré pour lui-même mais toujours passé au crible de son histoire : où va-t-il ? d'où vient-il ? [...] Ça n'est plus le seul son dont la densité va donner chair au temps, mais bien plus la différence ou l'absence de différence entre un son et le suivant ; en d'autres termes, le passage du connu à l'inconnu et le taux d'information qu'introduit chaque événement sonore » ou encore « Composer avec l'ombre des sons,c'est imaginer une orchestration qui met en lumière les champs de profondeur dans lesquels s'activent les différents timbres ».
Dix ans après la disparition brutale du compositeur, dans une édition dirigée par Guy Lelong et avec la précieuse collaboration d'Anne-Marie Réby, les Éditions MF ont la riche idée de faire paraître un recueil de ses textes les plus significatifs. Ceux-ci sont regroupés selon six grandes catégories : Écrits sur ses principes de compositions, Écrits sur ses œuvres, Autres écrits et textes de circonstances (création de L'Itinéraire, musique et contexte social, etc.), Entretiens (« Varèse [...] fut notre grand-père à tous »), Lettres (« J'ai trop voyagé cette année et il faut que je compose ») et Pages de journal. Grâce à la Fondation Paul Sacher, certains inédits peuvent ainsi voir le jour, nous apportant un éclairage plus précis sur la pensée du compositeur qui fut livrée de son vivant à des supports aujourd'hui épuisés ou difficilement trouvables.
D'article en article, Grisey expose son envie d'une musique complexe plutôt que compliquée, allant de paire avec sa critique de la grisaille atonale qui renie l'hédonisme, des pièces-tape-sur-tout surgies dans les années soixante, du collage comme signe de décadence et de censeurs qui, au siècle dernier, « auraient certainement opté pour Vincent d'Indy, contre Debussy ! » Bien qu'allergique à la mauvaise médiatisation touchant l'art musical et confronté, comme beaucoup d'autres, à l'angoisse de la commande, on a rarement lu un artiste qui doute autant de la crise annoncée de son domaine d'activité. Enthousiaste devant les territoires encore à défricher, Grisey l'est immanquablement, et son humour en est la plus plaisante manifestation. Un livre incontournable pour qui souhaite vivre avec son siècle.
LB