• pages de chevet

« Lorsque j'étais enfant, les graves et les aigus du piano étaient couverts de poussière. Aucun de nos exercices ne faisait s'y aventurer. Je n'ai composé pour le piano dans les registres extrêmes que pour effacer cette poussière-là. »

Comme tant d'autres avant lui, sous forme de boutade ou d'introspection, Gérard Pesson a témoigné des prémisses d'une vocation de compositeur. Rien ne laissait présager la parution d'un journal (couvrant la période 1991-1998), si bien que l'on se tourne vers son auteur avec une saine curiosité pour savoir ce qui en a motivé la rédaction. Celui-ci commence par indiquer qu'en ce qui le concerne – et contrairement à Delacroix, Schönberg, Haydn ou encore Pierné dont on a rassemblé les textes rétrospectivement –, c'est une décision presque structurelle, qui lui semble préexister même au fait d'écrire de la musique. Ainsi :

« Il est bien probable que j'aurais écrit ce journal même si je n'avais pas été compositeur. Cela est si vrai que, quand le processus de création se fait un peu trop questionneur, produit du texte, j'ouvre une sorte de journal dérivé pour telle ou telle partition. Journal, très lacunaire, sorte de main courante des pistes, des idées, des hésitations, des repentirs, qui peut courir sur des années. Je pense là, dans un genre un peu similaire où l'œuvre s'ente de son échafaudage, au Journal des Faux-monnayeurs d'André Gide. Mais au fond, si je peux me permettre d'avancer cette insatisfaction légèrement anticipée, j'aurais aimé écrire des Mémoires (comme Berlioz ou Wagner). Mission plus haute, peut-être plus littéraire, presque plus fictionnelle, et qui libère de ce charroi routinier des jours, qui a bien son charme, mais implique ce ronronnement, ce chapelet de plaintes et de chienneries parfois insupportable, autant au lecteur qu'au scripteur. »

Il précise également qu'il ne s'agit pas là d'un journal intime :
« Je n'ai jamais publié de mon journal que des extraits (en volume ou en revues) qui sont des cadrages – cadrage de cadrage, puisque l'écriture du journal est un choix, souvent par défaut. De sorte qu'une partie, ce qui serait plus intime, disons plus secret, ne figure pas dans ces extraits. Comme si la fenêtre de ce qui relève de « l'intime » (mais qu'est-ce vraiment que l'intime ?) pouvait glisser à volonté. »

Cran d'arrêt du beau temps nous fait découvrir un compositeur lettré, drôle et sans cette fadeur qu'il reproche – à juste titre – à d'autres diaristes, évoquant l'héritage des aînés (Bruckner, Fauré, Messiaen, Ravel, Schönberg) comme les rencontres avec ses contemporains (Cage, Dutilleux, Fénelon, Grisey, Hurel, Kagel, Lachenmann, Lenot, Martin, etc.) ; un artiste balancé entre manque d'énergie, vexations diverses et avancées créatives (Se méfier de l'écriture qui écrit, quand ce qu'on appelle le style se confond avec le « métier »), ne cachant rien de la genèse de partitions souvent lentes à naître – livrées parfois avec du retard – et des (mauvaises) surprises qui l'attendent jusqu'après leur création. Musicien à l'écoute des productions d'autrui (concert, disque, autoradio), Gérard Pesson apparaît comme un homme sensible aux pépites du quotidien : le grelot d'un cheval, le cri d'un vitrier ou le simple tintement d'une gourmette contre une bouteille.

LB