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Chroniques
Gabriel Pierné
Correspondance romaine
Célébré comme un des grands espoirs d'une école française encore influente, Gabriel Pierné (1863-1937) se voit récompensé par un séjour à la Villa Médicis, dont rend compte le présent ouvrage – presque au jour le jour et de façon paradoxale pour quelqu'un qui écrivait du voyou Debussy : « Il ne faut jamais voir l'homme, on est presque toujours désillusionné. » Correspondance romaine regroupe cent trente-huit lettres rédigées sur cent dix-sept semaines, du 29 décembre 1882 au 25 mars 1885, alors que le jeune homme est loin de Paris et de ses parents. C'est principalement à eux qu'il s'adresse, leur contant son quotidien mais aussi divers voyages à Capri, Royan ou dans les montagnes Sabines. Qu'on soit ou non sensible à la musique de l'élève de Massenet et de Franck, c'est l'éveil d'un compositeur qu'on découvre avec intérêt, à travers des courriers souvent rehaussés de petits dessins.
Ce dernier à plusieurs vies simultanées. Il est d'abord juge du travail d'autrui, passant en revue différentes partitions avec insolence et humour : Sémiramis (« musique assommante ! »), La Somnambule (« de jolies choses, mais beaucoup ont vieilli »), Lakmé (« c'est bien laid »), La Walkyrie (« je serais désolé de faire des opéras comme cela ! »)... – Wagner reste pourtant parmi ses préférés, avec Händel et Beethoven. Malgré la crainte de paraître jaloux ou immodeste, il n'épargne pas non plus les interprètes : ici, un pianiste qui joue Chopin avec un style de « machine à coudre », là, une chanteuse aux « coups de gueule » copieusement applaudis. Le jeune musicien est aussi, bon gré mal gré, l'animateur des après-midi entre pensionnaires ou de soirées mondaines. C'est enfin un créateur qui rend compte de sa peine sur les œuvres en cours et multiplie les récriminations envers Leduc, son éditeur mauvais payeur.
Cependant, l'homme d'affaires novice – « faites chanter à vos élèves les œuvres de votre fils ! » – reste un adolescent qui fait douloureusement son apprentissage du monde. S'il allège son récit en évoquant les surnoms et les blagues potaches qui mettent en joie la Villa, nous compatissons à ses tentatives d'attendrir la directrice ou la maison Pleyel, face aux difficultés rencontrées : le manque d'argent, le froid, la vermine, la maladie voire la mort. Détails triviaux ou historiques, naïveté et certitudes, pensées profondes et mauvaise foi se succèdent, donnant à l'ensemble une énergie juvénile, et nous attachent à un amateur de dompteurs et d'acrobates qui dit adieu ici aux plus belles années de sa vie.
LB