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Chroniques
Gabriel Pierné – Louis Vierne
quintettes pour piano et cordes
Connus l’un comme chef d’orchestre au service de ses contemporains (création d’Iberia, Tzigane, L’oiseau de feu, etc.) et l’autre comme brillant organiste, Gabriel Pierné (1863-1937) et Louis Vierne (1870-1937) partagent plusieurs points communs, dans une époque qui s’affranchit de l’influence germanique. Outre leur disparition la même année que Ravel, Roussel et Widor, ils reçoivent tous deux l’enseignement de César Franck, et composent comme lui – mais aussi Magnard, Fauré, Le Flem, etc. – un quintette avec piano et cordes, avec la Première Guerre mondiale comme arrière-fond. C’est le programme qu’a enregistré Stéphane Lemelin, au côté du Quatuor Arthur-Leblanc dont on apprécie les belles qualités (clarté du violon, chaleur rauque du violoncelle, etc.).
En 1871, Alsace et Lorraine sont annexées par l’Allemagne de Bismarck. Messin d’origine, Gabriel Pierné s’installe à Paris avec ses parents et entre aussitôt au conservatoire. Au terme d’études brillantes couronnées par de nombreux premiers prix (piano, orgue, contrepoint, fugue), il séjourne à la Villa Médicis du 29 décembre 1882 au 25 mars 1885 [lire notre critique de l’ouvrage Correspondance romaine], entreprend une prometteuse carrière de pianiste, puis succède à Franck à l’orgue de Sainte-Clotilde (1890). À la mort d’Édouard Colonne (1910), il prend la tête de l’orchestre dont il était le suppléant, et ce jusqu’en 1934.
Compositeur principalement estival aux pages tombées dans l’oubli, le père de Sophie Arnoud [lire notre critique du CD] s’attelle à son opus 41 à partir de 1916. Dédié à Fauré qui composa deux fois pour cette formation (1906 et 1921), ce dernier est créé par la Société nationale de musique le 22 février 1919, avec le Quatuor Bastide et Pierné au clavier. Dans une alternance de caractères, le premier mouvement développe une véhémence lancinante trouée de moments aériens. Le suspense annonce l’ultime mouvement, tendu, accidenté et dramatique, mais lui aussi mâtiné d’insouciance. La fin est conventionnelle, mais moins faible que la décevante portion médiane, empruntant au folklore basque.
Louis Vierne, quant à lui, gagne la capitale depuis Poitiers pour étudier à l’Institut national des jeunes aveugles où il apprend piano, violon et orgue. Son aisance au « grand poumon », saluée par Franck puis Widor, lui fait obtenir un poste de titulaire à Notre-Dame, occupé près de quarante ans. Écrites entre 1899 et 1930, six Symphonies dédiées à son instrument ont éclipsé la cinquantaine d’œuvres restant, à l’exception de l’opus 42, régulièrement joué [lire notre chronique du 22 juillet 2014]. Vierne débute sa composition en 1917, durant une décennie cruelle pour lui : divorce d’avec une épouse infidèle (1909), mort d’un jeune fils tuberculeux (1913), début d’un glaucome (1915), mort au combat d’un deuxième fils (1917) et de son frère René (1918).
Conçue avec tendresse et colère, puis créée à Genève le 23 avril 1920, cette pièce veut accompagner l’enterrement de l’adolescent « dans un rugissement de tonnerre et non dans un bêlement plaintif de mouton résigné et béat ». C’est la sévérité, mais aussi la douleur et une rage élégiaque qui dominent le mouvement initial (Poco lento. Moderato), sublimé par une interprétation d’emblée prenante. Sa conclusion sereine laisse place à une atmosphère de liquéfaction et de dislocation dont émerge un piano hiératique. Farouches, les dernières minutes convoquent une tourmente de sonneries militaires, de ricanements démoniaques, d’engluements inexorables. La fin foudroie, inéluctable.
LB