Recherche
Chroniques
Georg Friedrich Händel
Tamerlano | Tamerlan
Pour donner un exemple marquant de la carrière de Georg Friedrich Händel (16851759), « jalonnée d'instants où son énergie créatrice impétueuse produisit un torrent de réalisations prodigieuses », le biographe Jonathan Keates se réfère à la période située entre février 1724 et février 1725, douze mois qui virent la composition de Giulio Cesare in Egitto [lire notre critique du DVD, chez Opus Arte], de Tamerlano et de Rodelinda. Trois semaines suffirent au compositeur (du 3 au 23 juillet 1724) pour composer la première version de cet ouvrage s'inspirant d'événements historiques du début du XVe siècle : en 1402, l'Ouzbek Timur Lang envahit l'Anatolie et défit le sultan ottoman Bayezid Ier à la Bataille d'Ankara ; ce dernier meurt plus tard en captivité, probablement en se suicidant par empoisonnement.
Les trois actes reposent sur une adaptation par Nicola Francesco Haym du travail de son confrère Agostino Piovene pour Il Tamerlano (1711) et Il Bajazet (1719), ces partitions de Francesco Gasparini qui n'existeraient pas sans la tragédie de Jacques Pradon, Tamerlan ou La Mort de Bajazet (1676), traduite en italien en 1709. Il est intéressant de noter que l'œuvre la plus récente de Gasparini arrive à Londres en septembre 1724, dans les bagages du ténor Francesco Borosini – futur Bajazet de Händel, qui venait d'incarner le personnage pour la reprise vénitienne d'Il Tamerlano –, et qu'elle incite le Saxon à revoir son propre ouvrage, en vue d'une fin plus sombre. Du 31 octobre au 28 novembre de la même année, ouvrant la sixième saison de la Royal Academy, neuf représentations en sont données à Londres, au King's Theatre de Haymarket.
Filmée avec goût, la reprise de cette production florentine de 2001 nous emmène à Madrid, au printemps passé. D'un opéra fondamentalement tragique, pauvre en spectacle et en rebondissements, Graham Vick propose une vision presque austère, jouant sur le noir et blanc – mis à part l'arrivée d'Irene, sur un éléphant bleu qu'on dirait sculpté par Niki de Saint Phalle. Bien qu'animé ici et là par la danse de gardes ou le passage d'une caravane miniature, le décor unique renforce le climat d'oppression pour les prisonniers qui ne voient guère d'issue heureuse à leur enfermement. Élégante et souple, la direction de Paul McCreesh (un entretien bonus de dix-huit minutes avec le chef anglais accompagne cette captation) offre une nature de son peu opulente qui permet la respiration. Cependant, on regrette la richesse de timbre de l'instrument ancien, le vibrato mal maîtrisé par des musiciens non spécialistes du baroque.
Côté voix, la seule déception vient d'Ingela Bohlin (Asteria), avec son chant court, sans espace ni précision. En revanche, saluons les graves efficaces de Monica Bacelli (Tamerlano) – dont la gestuelle envahissante peut agacer –, l'efficacité de Sara Mingardo (Andronico), la couleur et l'ampleur de Jennifer Holloway (Irene), ainsi que la projection sonore de Luigi de Donato (Leone). Concluons avec Plácido Domingo, qui offre à son personnage de monarque déchu le lustre du bel canto. C'est une preuve d'intelligence et de curiosité de choisir une nouvelle orientation au zénith de sa carrière, et, même si la conduite de la vocalise ne lui est pas naturelle, le ténor s'en sort mieux que bien des spécialistes de ce répertoire, tant la voix reste agile et l'émission évidente. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter son air de l'Acte II, A suoi piedi padre esangue, tout de souffle et d'émotion.
LB