Chroniques

par laurent bergnach

Georg Friedrich Händel
Semele | Sémélé

2 DVD Decca (2009)
074 3323
la vision ennuyeuse de Robert Carsen

En 1710, le poète William Congreve achève un livret que John Eccles va mettre en musique. Roi de Thèbes, Cadmus s'y réjouit du mariage imminent de sa fille Semele avec Athamas, le prince de Béotie. Mais cet événement rend deux femmes malheureuses : la promise, secrètement amoureuse de Jupiter, et sa sœur Ino, éprise du futur marié. La cérémonie est bientôt interrompue par de violents coups de tonnerre et Semele enlevée par un aigle géant. Tandis que les amants illégitimes s'étreignent au sommet du mont Cithéron gardé par deux farouches dragons, Juno prépare sa vengeance… Pour son opéra créé en oratorio le 10 février 1744, c'est ce texte remanié qui servit à Händel, soit « l'un des livrets les plus beaux jamais écrits en anglais », de l'avis de Robert Carsen – responsable d'une mise en scène de Semele à Aix-en-Provence en 1996, puis de sa reprise onze ans plus tard :

« La langue de Congreve palpite de vie, d'émotion, de comédie et d'érotisme - ce qui lui confère une certaine similarité avec le langage de Shakespeare. Fait inhabituel, ce récit mythologique est relaté d'une façon très directe, à la manière d'une comédie sociale : les personnages sont placés dans le cadre de liens familiaux et émotionnels ; le chœur joue un rôle prépondérant ; et tous ensemble, ils constituent une société concrète. Comme dans Le Songe d'une nuit d'été, les personnages surnaturels interagissent avec les mortels de cette société : en l'occurrence, ce sont Jupiter et Junon – suivant l'exemple de Titania et Oberon – qui se révèlent être plus humains que les humains par leur rancœur, leur jalousie et leur égocentrisme. »

Pour notre part, nous trouvons exagérés les éloges littéraires de Carsen, mais surtout assez ennuyeuse la vision qu'il a donnée de l'œuvre musicale, avec ses tics de mise en scène (corps couchés, cocktails, grand lit, tapis rouge, etc.) et ses gags désolants. Certains moments relancent cependant notre intérêt : Jupiter amusant son aimée avec des babioles pour la détourner de son envie d'immortalité, la confrontation Semele / Juno (une heureuse différence de taille entre les artistes accentue la puissance de la déesse) ou encore la mort très sobre de l'héroïne, regrettant son orgueil et sa vanité impie dans un éclairage discret.

O sleep, why dost thou leave me ? (Acte II) et Myself I shall adore (Acte III) serviraient aisément d'exemple : dans le rôle-titre, Cecilia Bartoli s'impose par un chant habile et nuancé au service de da capo toujours inventifs, rendus simples en apparence – comble de la sophistication ! – par une technique sans faille. Outre sa souplesse et sa stabilité, la nuance est également l'atout de Charles Workman (Jupiter) dont l'air Where'er you walk… est applaudi à juste titre. Thomas Michael Allen (Athamas) jouit d'un chant très clair et Liliana Nikiteanu (Ino) de graves musclés. Anton Scharinger (Cadmus), Birgit Remmert (Juno) et Isabel Rey (Iris) complètent honorablement cette distribution zurichoise. Homogène et équilibré, le Chœur mérite également des félicitations, de même que William Christie pour sa direction vive, élégante et facilement chantante, à la tête de La Scintilla.

LB