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Chroniques
Georg Friedrich Händel
Ariodante
En ce deuxième tiers du XVIIe siècle, Händel traverse une période professionnelle difficile : ses oratorios Deborah et Athalia (1733) sont boudés alors même que Niccolò Porpora, héraut du prince de Galles, règne sur le théâtre lyrique grâce à la disposition du théâtre Haymarket et d’une compagnie de chanteurs prestigieuse. Soutenu par John Rich (fondateur de Covent Garden – 1732) depuis le départ pour la Hollande de sa meilleure protectrice, la princesse Anna, en avril 1734, le natif de Halle parvint à réunir des interprètes de valeur autour de son art. Dans ce contexte de rude rivalité avec le Napolitain – « nul autre musicien italien de ce temps n’a sa respiration ample et tranquille », affirme Romain Rolland –, le pari est fait de l’audace et de l’originalité.
Pour son nouvel ouvrage créé le 8 janvier 1735 devant un public déconcerté par l’absence de stéréotypes italiens, Händel privilégie en effet l’évolution psychologique au détriment du merveilleux, l’expressivité plutôt que la virtuosité. Auteur de Ginevra, princessa di Scozia (1708), inspiré d’Orlando furioso (Ariosto) et source du livret d’Ariodante, Antonio Salvi reconnaît d’ailleurs avoir soigné les détails – « J’ai accentué le caractère criminel de Polinesso, le faisant agir davantage par intérêt et par ambition que par amour, de sorte que le public ressente moins d’horreur devant sa mort et afin de faire ressortir d’autant plus la vertu des autres personnages ».
Filmée au Teatro Caio Melisso en juillet 2007, durant le Spoleto Festival, cette production situe dans les années cinquante d’une monarchie britannique glorieuse et glamour l’histoire d’amour de la Princesse Ginevra et du Prince Ariodante, bénie par un paternel Roi d’Ecosse mais contrarié par le Duc d’Albanie, désireux d’accéder au trône. Respectant l’idée de Salvi, cette obsession du fourbe Polinesso est mise en avant par John Pascoe jusqu’à occuper le délire d’une Ginevra à l’honneur sali. Pour ce dernier, Ariodante « traite surtout de la vérité et de la vérité par rapport aux apparences », d’où la présence de ces miroir, d’un chien fidèle et de la devise attachée à l’Ordre de la Jarretière.
Couple vedette émérite, Ann Hallenberg (rôle-titre d’une incroyable aisance) et Laura Cherici (Ginevra agile) sont bien entourés : Marta Vandoni Iorio (Dalinda immédiatement campée) charme par sa plénitude et sa chaleur, auxquelles s’ajoute un style vocal magnifique ; Mary-Ellen Nesi (Polinesso à l’accroche virile) offre progressivement fluidité et brillant à des vocalises d’abord pesantes, tandis que Carlo Lepore (Re di Scozia crédible) jouit de graves très fermes et d’un legato délicieux. Vittorio Prato compose un Odoardo efficace. Seul Zachary Stains (Lurcanio) déçoit par un chant au placement lâche, tantôt nasillard, tantôt maniéré.
« Les bonnes surprises ne finissent jamais avec Händel » annonce Alain Curtis dans le supplément au spectacle, d’une quinzaine de minutes. Concernant Ariodante, la raison en est certainement que le compositeur a écrit sans hâte, prenant le temps de corriger et d’améliorer – deux semaines, un temps parfois dévolu à élaborer des ouvrages lyriques entiers, furent consacrées au seul premier acte. À la tête d’Il Complesso Barocco, l’éclat apporté par le chef à l’Ouverture ne dure pas, la dynamique s’étiolant jusqu’à la déliquescence. Qu’aurait donné cette absence de risque et de saveur avec un plateau moins épicé ?
LB