Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel
Clori, Tirsi e Fileno

1 CD New Classical Adventure (2004)
MA 97 05 828
Georg Friedrich Händel | Clori, Tirsi e Fileno

Depuis sa fondation en 1984 à Berlin, la Lautten Compagney s'illustre avantageusement dans les programmes de musique ancienne qu'elle produit, principalement dans le Brandebourg et la Saxe. Avec un répertoire explorant aussi bien Schütz que Lassus, Banchieri ou Bononcini, cet orchestre aborde régulièrement l'œuvre de Georg Friedrich Händel. Le présent enregistrement de la cantate Clori, Tirsi e Fileno fut effectué suite à l'exécution en concert en juin 1997 lors du Händelfestspiele de Halle ; six ans plus tard, nous avions eu le plaisir d'entendre cette formation à Halle précisément, dans l'opéra Teseo du même compositeur [lire notre chronique du 9 juin 2003]

Dans le journal intime d'un citoyen romain, on lit, en date du 14 janvier 1707 : « Un Allemand est arrivé dans notre ville; c'est un excellent claveciniste et compositeur qui a prouvé aujourd'hui son habileté en jouant les orgues de l'église San Giovanni, provoquant la stupéfaction général ». Encore étudiant en droit à Halle, Händel avait souvent fait le voyage jusque Leipzig pour entendre des œuvres et des artistes italiens. Grâce aux nombreux protecteurs et mécènes, l'art vocal italien et ses débordements sur l'écriture instrumentale pure rayonnaient sur l'Europe. À l'exemple de Schütz, le jeune homme de vingt-deux ans irait vivre pour quelques mois son rêve au pays de la musique, et c'est de cette période que nous viendraient de nombreuses cantates (dites romaines), dont Clori, Tirsi e Fileno. En effet, parmi les formes vocales principales les plus en vue se trouve alors la cantate de chambre, religieuse ou profane. Sa structure mi-narrative, mi-dramatique exige un cadre théâtral. Les textes d'une métrique variable autorisent au compositeur des séquences très variées, des enchaînements surprenants. L'un des thèmes préférés étant l'amour, souvent évoqué dans le paysage idéal d'une ancienne Arcadie déjà présente, trois siècles plus tôt, dans les œuvres bucoliques de Petrarca et de Boccaccio, on ne s'étonnera pas de rencontrer ici un univers de bergers et bergères, érigé en refuge harmonieux et candide face à la corruption urbaine. L'homme qui suit les lois de son cœur plutôt qu'un quelconque code de l'honneur est au centre du poème.

Si l'on retrouve dans cette partition la plupart des canons de l'époque, si elle obéit aux conventions, ce n'est jamais servilement, ces dernières lui offrant en plusieurs passages le cadre qui légitime astucieusement des innovations qui seront bien vite la marque de fabrique de l'audacieux Händel. Wolfgang Katschner sert au mieux le brio de l'Ouverture par une lecture d'une grande clarté où l'on remarquera ce petit rien d'un peu fou qui fera par la suite toute l'excitation des ouvrages dramatiques du Saxon. Volontiers théâtrale, son interprétation s'avère parfaitement équilibrée, dotée d'un art de la nuance sensible, et d'une belle vivacité. On signalera la finesse des cordes (par exemple dans l'air Quell'erbetta), leur tendresse également (postlude de l'air Sai perché), leur inscription dans les procédés italiens (introduction proprement vivaldienne de Barbaro !), mais aussi un bon pupitre de bois, propre à souligner l'ambiance pastorale de l'œuvre, et des accompagnements d'un raffinement extrême, comme l'alliage guitare baroque / théorbe qui amène l'émotion dans les deux airs de Fileno, Povera fedeltà et Come la rondinella, à la fin de la cantate.

La distribution vocale, bien qu'honorable, demeure inégale. Elle offre l'avantage d'une différenciation évidente, cela dit. Clori est chantée par le soprano canadien Suzie Le Blanc : timbre gentil, chant charmant, irréprochable, mais un peu loin, accusant des soucis de respiration et de gestion du souffle, le plus gênant étant un manque de caractérisation qui aligne chaque phrase à un même pâle niveau de sentiment. C'est dommage, car toutes les questions de style sont parfaitement solutionnées par ailleurs, avec une ornementation facile, des vocalises régulières. Il n'y aura guère que dans l'air Barbaro ! qu'une once d'expressivité l'emportera sur le manque général de saveur.

Le tout jeune contre-ténor Jörg Waschinski campe Tirsi (soprano) ; la voix est encore trop verte, bien qu'affirmant déjà ses grandes qualités de timbre (c'était il y a sept ans…). Cette belle fraîcheur et une puissance aisée font ici figure de promesses, et l'on sait qu'elles furent honorées (on put constater la musicalité et le style de ce chanteur dans Teseo plus tard). Enfin, David Cordier est un Fileno (alto) efficace qui travaille beaucoup sa couleur, offrant un chant stable avec des recitativi d'une grande fiabilité. Belle présence, chant toujours nuancé, jusqu'à nous atteindre d'une certaine émotion.

BB