Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel
Fernando, re di Castiglia | Fernando, roi de Castille

1 coffret 2 CD Virgin Classics (2007)
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Georg Friedrich Händel | Fernando, re di Castiglia

Au lecteur qui, en prenant connaissance du titre de l'ouvrage ici gravé, croirait à la découverte d'un manuscrit caché, il faudra répondre que Fernando, Re di Castiglia est en fait la première version d'un ouvrage qu'il connaît sans doute, Sosarme, Re di Media, créé le 15 février 1732 au King's Theater de Haymarket. Pourquoi, arrivé au deux tiers de la rédaction de son nouvel opéra, Händel décida-t-il d'en modifier le projet, c'est ce que la notice passionnante de David Vickers nous apprend en introduction au livret de ce nouvel enregistrement, de même qu'il initie l'auditeur aux origines littéraires de son argument politique qui ne trouvera pas d'issue dramatique.

On saluera donc la démarche d'Alan Curtis de graver aujourd'hui ce que l'on pourra considérer comme l'aîné ou le prototype de Sosarme, permettant ainsi au mélomane d'aborder différemment le génie händélien. La lecture qu'il en présente à la tête de son Complesso Barocco s'avère d'une fluidité retenue, un rien solennelle, en générale, toujours soucieuse d'un équilibre instrumental confortable qui n'a cure d'une certaine mode à sur-accentuer les contrastes. Élégance et tonicité sont au rendez-vous, avec un recul dramaturgique relatif qui induit l'avènement des conceptions classiques, en quelque sorte.

Antonio Abete prête ici un grain avantageux à l'ignoble Altomaro pour lequel il recourt volontiers à une certaine lourdeur de la couleur, conduisant toujours finement son chant avec ses moyens spécifiques. L'écriture du rôle présente quelques embûches, convoquant autant l'aigu que le sur-grave, avec une liberté intervallaire osée ; Abete fait preuve de souplesse, même si les mélismes s'avèrent parfois laborieusement réalisés. Malgré un aigu un peu raide, la fraîcheur générale du timbre de Neal Banerjee retient l'écoute, son Alfonso se risquant même à une attaque douce en voix mixte à la fin du premier accompagnato (Voi miei fidi compagni). On regrettera toutefois les soucis de justesse qu'il rencontre dans le duetto avec Isabella, au Deuxième acte (Se m'ascolti). Moins convaincant se montrera l'autre ténor de l'histoire, à savoir Dionisio, le père d'Alfonso, chanté par Filippo Adami dont la voix possède assez évidemment la bellicosité requise ; certes, l'aigu est vaillant et trompette comme il le faut, mais cela ne suffit pas à nous faire oublier une articulation souvent bizarre, une émission exagérément ouverte qui met la stabilité en péril, le manque de précision, un bas-médium terne et un grave exsangue. En Elvida, on retrouve une Veronica Cangemi plus soupirante que jamais dont on goûte les variations de chaque Da Capo, bien que l'aigu ne soit pas toujours vraiment stable. On citera cependant Dite pace (aria finale du Premier acte) pour son brio et la fulgurance de ses contrastes, ainsi que l'arioso introductif du second acte (Padre, germano e sposo) à l'exquise tendresse et le presque mozartien Vola l'augello dal caro nido aria finale du II).

Trois prestations exceptionnelles signent ce coffret, dans les rôles d'Isabella, de Sancio et de Fernando. Marianna Pizzolato est une Reine du Portugal remarquable dont la riche couleur saisit immédiatement. L'égalité de la pâte vocale favorise une maîtrise admirable du legato, y compris sur les ornements – dans Forte inciampo al suo furore, notamment (Acte I) –, un confort et une belle régularité du grain, un velours d'où surgit parfois une plénitude somptueuse – Due parti del core, à la fin du Premier acte, par exemple –, une expressivité toujours sensible, comme en témoigne le touchant lamento du dernier acte (Cuor di madre). Max Emanuel Cencic incarne un bâtard noble et scrupuleux grâce à une homogénéité de timbre, de couleur et d'émission vérifiable sur toute la tessiture, mais aussi à une grande intelligence du texte que vient souligner des Da capo agilement orné. L'aigu est superbement épanoui, le corps général de la voix bien ancré dans une épaisseur souple. Enfin, le rôle-titre est tenu par l'excellent Lawrence Zazzo, gracieux et évident dans la vaillance comme dans la tendresse, accusant un impact toujours parfaitement visé qu'il met au service de Da capo d'une confondante facilité.

BB