Chroniques

par monique parmentier

Georg Friedrich Händel
airs d’opéra

1 CD Virgin Classics (2010)
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Georg Friedrich Händel | airs d’opéra

Max Emanuel Cencic est certainement le contre-ténor le plus talentueux et le plus audacieux de sa génération. Lui qui a commencé si jeune sa carrière change aujourd'hui totalement de registre, prenant les risques que n'osent les distributeurs et les salles. C'est à lui que nous devons le plus bel enregistrement de l'année Händel (2009) : Faramondo, un opéra complètement oublié. Entouré d'une distribution prestigieuse, Cencic nous faisait découvrir un timbre particulier, bien loin de celui d'un simple sopraniste. Avec le présent CD, il renouvelle la performance et s'affirme, sans conteste, grand mezzo-soprano händélien.

Les airs ici rassemblés furent interprétés par des femmes, dont Margherita Durastanti, et par les plus prestigieux castrats, des sopranistes comme Valeriano Pellegrini au contralto Diano Vico, en passant par celui dont on put dire qu'il possédait un des timbres les plus rares : le mezzo-soprano Carestini qui enflamma les cœurs et les âmes du public de l'époque. Aujourd'hui, Max Emmanuel Cencic prouve que le travail de la voix peut procurer autant voir beaucoup plus de plaisir sans pour autant anéantir des vies par une opération mutilante et monstrueuse.

Faisant rarement l'objet d'une présentation en récital, ces airs lui permettent d'offrir un véritable feu d'artifice où la performance technique sert l'émotion. Du deuxième opéra de Händel (Agrippina) au dernier (Serse), en passant par la rare sérénade Parnasso in Festa, ce récital est extrêmement bien construit. Tout en progression, il fait découvrir la richesse foisonnante d'un art vocal somptueux. Le chanteur y est accompagné par l'ensemble I Barocchisti dont tous les pupitres sont à louer. La justesse des cuivres, la rondeur des hautbois ou du basson, et des cordes d'une grande souplesse, en font une des plus belles phalanges händéliennes du moment, placée sous la direction énergisante, précise et attentive de Diego Fasolis.

Grâce à leur complicité, Cencic déploie une agilité confondante dans ces airs flamboyants, comme dans Sorge nell'alma mia (Imeneo) où, des aigus les plus brillants aux graves les plus déchirants, il exprime avec fougue les tourments de la jalousie. Il possède un magnifique legato, qui fait ressentir toute la tendresse d'Alma mia (Floridante), ou le tourment si poignant de Dardanus dans Amadigi di Gaula. Mais l'expression de la douleur mortelle dans Ombra Cara (Radamisto) révèle les ombres de ce timbre si singulier et bouleversant qu'est le mezzo-soprano.

Dans les airs les plus pyrotechniques, on se demande qui, de l'orchestre ou du soliste, provoque l'autre dans un duel où l'exploit n'interdit pourtant pas l'expressivité. Les ornementations vocales reflètent la résistance à la tempête instrumentale à laquelle le cœur vaillant survit dans Arianna in Creta. Dans les ornements de colorature de Come nube (Agrippina), et ces passages vertigineux des aigus aux graves de Se bramate (Serse), se révèlent à chaque instant toute la complexité et la variété d'un timbre qui fait naitre un bonheur total, un plaisir que rien ne peut retenir. La joie enivrante du timbre si clair et lumineux dans les airs du Parnasso in festa nous emporte dans un grisant mouvement ascensionnel. Lunga serie d'altie eroi, accompagné par les Chœurs luxuriants de la Radiotélévision Suisse à l'homogénéité et à l'éloquence glorieuse, est une conclusion qui laisse… sans voix.

Tant de musicalité éblouit. Il ne nous reste plus qu'à espérer que les salles d'opéra proposent à Max Emanuel Cencic ces rôles où son talent pourra enflammer le public.

MP