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Chroniques
Georg Friedrich Händel
Rinaldo | Renaud
En 1581, l’Italien Torquato Tasso (1544-1595), dit Le Tasse du côté français des Alpes, fait paraître La Gerusalemme liberata (La Jérusalem délivrée), poème épique qui retrace de façon largement fictive la Première Croisade menée par Godefroy de Bouillon (1096-1099), laquelle débuta suite au refus des Seldjoukides (membres d'une tribu turque émigrée au Proche-Orient) de laisser le passage aux pèlerins chrétiens vers la Ville Sainte. L’œuvre possède un solide arrière-plan historique, mais emprunte également à Homère, Virgile et à une veine fantastique. Parmi une foison d’amants déchirés entre sentiments et devoirs (Sophronia et Olindo, Clorinda et Tancredi [lire notre critique du CD], etc.), on trouve la magicienne Armida amoureuse du vaillant chevalier Rinaldo :
« Renaud pénètre jusqu’au char d’or où se tient Armide dans une attitude guerrière. Une noble escorte de chevaliers et d’amants l’entoure de tous côtés. Elle reconnaît le héros à plus d’un signe, et lui lance des regards où se confondent le désir et la haine. Le visage du chevalier trahit quelque émotion ; Armide, d’abord de glace, s’embrase tout à coup. » (Chant XX, LVI – traduction d’Auguste Desplaces, 1842).
Lorsque qu’Händel (1685-1759), alors maître de chapelle du futur George I, débarque à Londres à la fin 1710, l’essor de l’opéra national anglais est au point mort depuis la disparition de Purcell et Blow. En deux semaines, recyclant ses propres airs (Agrippina, cantates, oratorii) ou des emprunts italiens, le Saxon met en musique le livret de Giacomo Rossi, commandité par Aaron Hill, directeur du Queen’s Theatre. Rinaldo est créé le 24 février 1711 et obtient un grand succès (quinze représentations en 1711, neuf l’année suivante). Au fil du temps, Händel modifie ici et là son premier opéra italien, mais la plus importante évolution concerne le changement de tessiture quasi général, pour la version donnée le 6 avril 1731.
Une fois n’est pas coutume, Robert Carsen fait preuve de fantaisie et d’humour pour mettre en scène ce succès londonien, filmé à Glyndebourne en août 2011. Si l’Ouverture n’est pas trop écoutée du fait d’une installation parasite de sa vison de l’ouvrage, on doit saluer une transposition cohérente dans un univers scolaire (salle de classe, préau, dortoir), avec des chevaliers sportifs montant à bicyclette, des furies métamorphosées en punkettes de manga et des sirènes qui prennent toutes l’apparence de l’aimée Almirena. Conduit par Ottavio Dantone, le magnifique Orchestra of the Age of Enlightenment se montre aussi sûr que vif et revigorant.
La distribution de cette production n’est pas en reste de qualité : Sonia Prina offre stabilité, couleur et expressivité à un rôle-titre des plus agiles, Luca Pisaroni (Argante) s’avère tendre et nuancé (Vieni, o cara), Varduhi Abrahamyan (Goffredo) impose sa voix sombre avec souplesse, Tim Mead (Eustazio) livre un chant évident qui choisit d’être heureux plutôt que précieux [lire nos chroniques du 8 octobre 2011 et du 11 juillet 2012], tandis que Brenda Rae (Armida) et Anett Fritsch (Almirena) se montrent efficaces, l’une dans la virtuosité, l’autre dans l’émotion. En bonus, on trouvera deux reportages sans sous-titres : le premier centré sur le travail de Carsen (dix minutes environ) et le second sur celui de Dantone, intervenant en italien (un quart d’heure).
LB