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Chroniques
Georg Friedrich Händel
Alcina
Frère aîné du célèbre castrat Farinelli, Riccardo Broschi (1698-1756) présente à Rome son premier opera seria, L’isola d’Alcina (1728), qu’il révise pour offrir à Parme Bradamante nell’isola di Alcina (1729). Fondé sur Orlando furioso de L’Arioste, ce livret va inspirer un ouvrage en trois actes à Händel, dans la continuité thématique d’Orlando (1733) et d’Ariodante (1735). C’est quelques mois seulement après la création de ce dernier qu’a lieu la naissance d’Alcina (HWV 34), à Londres, le 16 avril 1735. Le public est conquis au point que le Royal Theater Covent Garden se remplit pour dix-huit représentations dans la même saison.
Comme Phèdre, l’héroïne est une femme plus âgée que l’homme indifférent auquel elle s’attache, à ceci près qu’Alcina est une magicienne qui découvre l’amour. Habituée à métamorphoser en animal, en arbre ou en rocher des amants dont elle se lasse vite, elle vit sa passion pour Ruggiero avec tout un cortège de douleurs inconnues (doute, jalousie, humiliation). Lorsqu’il présente l’ouvrage à la Wiener Staatoper en novembre 2010, Adrian Noble transporte l’île fantastique au cœur d’un palais de Piccadilly où résidait Georgiana Cavendish (1757-1806), femme du monde célèbre pour sa beauté, son esprit et son militantisme – à titre d’exemple, elle soutient Charles James Fox, engagé contre l’esclavage et pour l’indépendance des États-Unis. L’ancien directeur de la Royal Shakespeare Company s’explique :
« dans les grandes maisons, on organisait pour se divertir des spectacles somptueux dans lesquels se produisaient les aristocrates et les hommes politiques. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de présenter Alcinaà travers le prisme du XVIIIe siècle. J’ai choisi une personnalité historique extrêmement intéressante : la duchesse de Devonshire. Elle exerçait une grande influence dans les milieux politiques et entretenait des liaisons sentimentales très compliquées ».
Sublimée par les costumes d’Anthony Ward et les lumières de Jean Kalman, cette mise en abime de nobles chantant Händel déconcerte si l’on n’en a pas la clé ; mais elle séduit d’emblée par son exotisme (arrivée en montgolfière, danseurs orientaux, etc.) et la présence scénique de musiciens qui souligne l’intimité de la partition comme celle du salon, dans un souvenir de madrigal et de chanson allemande de la Renaissance. Dommage qu’une prise de son perfectible et la direction de fosse de Marc Minkowski gâchent un peu la fête. En effet, à la tête de ses Musiciens du Louvre Grenoble, le chef s’avère précautionneux, opérant des ralentis languides, des fureurs lisses, au fil d’une lecture terne.
Dans le rôle-titre, Anja Harteros se montre souple mais aussi prudente : ce n’est pas son répertoire et sa timidité vocale en témoigne. En revanche, Vesselina Kasarova (Ruggiero) est dans son élément [lire notre chronique du 22 novembre 2007], et surprend toujours par ses nuances et dérapages familiers. Veronica Cangemi (Morgana) livre un chant raffiné mais fragile, tandis que Kristina Hammarström (Bradamante) offre des vocalises agiles. Globalement, Benjamin Bruns (Oronte) propose clarté et solidité, et Adam Plachetka (Melisso) grand souffle et maîtrise. Issu du St. Florianer Sängerknaben, le jeune Alois Mühlbacher (Oberto) ne démérite pas. Pour finir, rappelons que l’équipe se trouvait à Paris, quelques jours après la première, pour une version de concert [lire notre chronique du 29 novembre 2010]
LB