Chroniques

par laurent bergnach

Georg Friedrich Händel
Agrippina | Agrippine

2 DVD Naxos (2018)
2.110579-80
Thoms Hengelbrock joue "Agrippina" (1709), opéra italien de G. F. Händel

Dans les premières semaines de 1705, à l’Oper am Gänsemarkt d’Hambourg, un jeune duo artistique se distingue que forment le compositeur Georg Friedrich Händel (1685-1759) et son librettiste Christian Feustking. En effet, la création de l’opéra Almira, le 8 janvier, ne passe pas inaperçue [lire notre chronique du 12 août 2014], donnant lieu rapidement à la présentation d’un autre, dès le 25 février. Il se nomme Die durch Blut und Mord erlangte Liebe, oder : Nero (L’amour au prix du sang et du meurtre, ou Néron) et permet à Johann Mattheson (1681-1764), ténor et lui-même compositeur, de briller dans le rôle-titre, comme il le fit en incarnant Antoine, fin 1704, dans Cleopatra, son propre Singspiel. La musique en est aujourd’hui perdue, mais le texte subsiste, gardant trace de la première vie qu’eurent des personnages que l’on retrouverait dans Agrippina.

Le 14 janvier 1707, un chroniqueur romain annonce qu’un Sassone vient de montrer son talent d’organiste à l’église San Giovanni. Il s’agit d’Händel, fraîchement arrivé dans une ville où, pour complaire au puritain Innocent XII, aucun théâtre n’est autorisé entre la destruction du Teatro Tor di Nona (1697) et l’ouverture de la Capranica (1709) – ainsi que le rappelle Jonathan Keates dans la biographie parue chez Fayard, en 1995 (traduction par Odile Demange de George Frideric Handel: A life with friends, 1985). L’Italie, ce sont aussi les jardins fréquentés par la prestigieuse Accademia Arcadiana (Corelli, Scarlatti, Pasquini, etc.) et les rencontres de protecteurs, tels le marquis Ruspoli et le cardinal Vincenzo Grimani. Ce dernier fournit à Händel le livret d’Agrippina, pétri de ces intrigues politiques qui lui étaient familières. S’il reste un doute sur la date de la première, peut-être le 26 décembre 1709, au Teatro San Giovanni Grisostomo de Venise, aucun ne subsiste quant au succès remporté par l’œuvre durant près de trente représentations.

Filmée au Theater an der Wien les 16 et 29 mars 2016, cette production donne les pleins pouvoirs à Robert Carsen, secondé par Gideon Davey (décors, costumes) et Peter van Praet (aux lumières, avec le metteur en scène). Trois façades à arcades, parfois dissimulées par des voilages, entourent successivement un bureau high-tech où la mère de Nerone fomente l’ascension politique de son fils, la chambre de Poppea envahie de fleurs offertes par ses admirateurs (autre lieu dédié à la ruse !) ou une piscine autour de laquelle se regroupent pin-ups et athlètes. Comme les personnages, ces lieux clairement définis ajoutent à la lisibilité d’une intrigue qui ranime l’Italie mussolinienne. Dommage que les derniers instants imaginés pour couronner ce plaisant travail soit d’une grande stupidité.

L’ouvrage réunit trois contre-ténors. De Jake Arditti (Nerone), on apprécie la couleur vocale et l’agilité – l’air de fureur, Come nube che fugge dal vento, à l’Acte III – [lire nos chroniques du 18 novembre 2011 et du 8 février 2019], tandis que Filippo Mineccia (Ottone) séduit par un chant nuancé et émouvant qui révèle une certaine présence au monde [lire nos chroniques du 22 juillet 2015, du 2 mai 2017 et du 11 août 2019]. Tom Verney (Narciso) s’avère efficace, lui aussi. Les basses sont au nombre de deux : l’onctueux Mika Kares (Claudio) [lire nos chroniques de Der fliegende Holländer, Amleto, La favorite, La bohème, Simon Boccanegra, Anna Bolena et Le château de Barbe-Bleue] et le vaillant Christoph Seidl (Lesbo) [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk et de Dantons Tod]. Damien Pass (Pallante) pourrait rejoindre ce groupe, tant le grave du baryton a pris du corps, ces dernières années [lire nos chroniques des Troqueurs, de Mirandolina, Street Scene, L’heure espagnole, Salome, Lulu, Rusalka, Il Turco in Italia, Orfeo, Le monstre du labyrinthe et Donnerstag aus Licht]. Si Danielle de Niese (Poppea) gagne en souplesse après un démarrage laborieux [lire nos chroniques de Giulio Cesare in Egitto, Acis and Galatea et Cendrillon], Patricia Bardon (rôle-titre) convainc d’emblée par son ampleur et sa précision [lire nos chroniques de Serse, Adriana Mater, Ariane et Barbe-Bleue, Radamisto et Rusalka]. De plus, son jeu est la principale source de bonne humeur d’un plateau qu’accompagne Thomas Hengelbrock, souvent électrique, à la tête du Balthasar Neumann Ensemble.

LB