Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel
Solomon HWV 67

1 coffret 2 CD Ricercar (2022)
RIC 449
Prise live peu concluante du Solomon d'Händel par Leonardo García Alarcón...

Les grands oratorios en langue anglaise de Georg Friedrich Händel plaisent beaucoup, en ce mitan du XVIIIe siècle, et aussi vivement à toutes les oreilles, qu’elles soient accrochées à têtes bourgeoises, ouvrières, domestiques ou aristocrates. Cependant, à l’inverse de la seconde version d’Esther (1732), de Saül (1739), considérablement applaudi, Israël en Égypte (1739), Judas Maccabæus (1747) et malgré la cabale autour de la première londonienne de Messiah, en 1743 (l’œuvre avait été créée à Dublin au printemps précédent), Solomon ne connaît qu’un succès limité, lorsqu’il voit publiquement le jour au 17 mars 1749. Cette circonstance convie donc à le classer parmi les moins connus du compositeur saxon, tels Athalia (1733) donné à Oxford, ce qui n’occasionnait guère une audience large, ou encore Belshazzar (1744). Mais ce qui plait immédiatement n’est pas forcément ce qui plaira plus tard… et avec la résurrection de nombreuses œuvres, et ce bien avant l’avènement de la vague baroqueuse, certaines partitions ont pu conquérir le monde mélomaniaque. Pour sa part, cet oratorio HWV 67 sur un livret anonyme (de l’aumônier Thomas Morell, vraisemblablement) ne sera intégralement joué que trois fois du vivant d’Händel, avant de sombrer dans les oubliettes de l’histoire musicale. C’est Thomas Beecham qui génère son retour : nous sommes en 1955, deux siècles ont passé, et le valeureux enfant du Lancs livre, à soixante-quinze ans, une version copieusement tronquée.

Après les versions de John Eliot Gardiner (1985), Paul McCreesh (1999), Joachim Carlos Martini (2006), Daniel Reuss (2007) et Nicholas McGegan (2007), nous découvrons celle de Leonardo García Alarcón, directement captée au concert du 28 juillet 2022, au Grand Manège de Namur. Pour suivre depuis un moment le chef argentin que l’on apprécie beaucoup, on se trouve plutôt déçue par cette parution. Le rendu sonore en paraît un peu voilé, comme tenu à distance, et la lecture générale manque de tonicité. Bien sûr, tout va bien du côté du Chœur de chambre de Namur, toujours aussi musical, mais le Millenium Orchestra satisfait moins.

Les grandes différences entre les voix solistes empêchent de passer outre. Elles sont au nombre de cinq, et deux d’entre elles posent problème. Il s’agit du soprano Ana Maria Labin dont l’aigreur du timbre gêne à la plénitude de ses interventions [lire nos chroniques de King Arthur et de Così fan’tutte]. Mais il s’agit surtout du ténor Matthew Newlin, vraiment impossible : la ligne vocale est laborieuse, l’aigu se serre, avec une résonance toujours nasale, presque laide, autant de qualités qu’on aurait peut-être pu taire si la justesse n’était pas mise à rude épreuve par cet artiste qui ne paraît pas du tout à jour avec sa technique [lire nos chroniques d’Eliogabalo, Boris Godounov, Don Giovanni et Turandot]. Envisageons un souci de prise de son, voire d’acoustique, conjugué à un impact particulier de ces voix qui plurent à d’autres occasions ; enfin, il faut rappeler que nous entendons un live, avec les aléas que cela suppose : garder cette condition en mémoire permet de relativiser notre propos.

Quant aux autres solistes, ils enchantent, et sans réserve !
On retrouve avec joie le jeune soprano belge Gwendoline Blondeel dont le legato tendre et la sûreté d’un aigu pur et non déconnecté des autres registres sont de vrais bonheurs [lire nos chroniques d’Il palazzo incantato, Zoroastre, Titon et l’Aurore, Les Boréades, enfin David et Jonathas]. La fiabilité infatigable du baryton-basse Andreas Wolf est ici tout à son affaire : on ne se lasse pas de ce grain riche, de cette inflexion soignée mais jamais maniérée – un très grand chanteur [lire nos chroniques de Theodora, Krönungsmesse, Die Zauberflöte, Die Gezeichneten, Messe solennelle, Stabat Mater et Israel in Egypt] ! Enfin, la couleur chaude du contreténor nord-américain Christopher Lowrey et la précision absolue de l’intonation magnifient le rôle-titre par un chant très charismatique [lire nos chroniques d’Ippolito, Elena, A midsummer night's dream, Nabucco, Tamerlano, Hamlet, La divisione del mondo et Orlando]. En résumé, une version qui se tient mais que l’on ne retiendra pas comme essentielle.

KO