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Chroniques
Georg Friedrich Händel
Giulio Cesare in Egitto | Jules César en Égypte
Avec une prestation vocale moyenne, dans l'ensemble, une direction musicale prudente et timorée et surtout une mise en scène inepte, on ne saisit pas pourquoi cette coproduction de Bâle et Barcelone, captée au Liceu de la cité catalane, méritait une publication DVD. Quitte à immortaliser cette soirée, autant s'en donner les moyens, c'est-à-dire avoir le soin d'une prise de son correcte ; or, ce n'est absolument pas le cas ici, le travail de fosse se trouvant flatteusement en avant, tandis que les voix sont systématiquement lointaines.
Passée cette mauvaise surprise, on se rendra vite compte que David Menéndez peine laborieusement en Curio, écrasant sa vocalise jusqu'à sortir de la pulsation, en quasi asphyxie. Achilla, l'autre baryton de Giulio Cesare, réussit honorablement les récitatifs mais, dans les airs, Oliver Zwarg accuse un haut-médium désincarné, un grave aplati, un aigu poussif, au point que son Se a me non sei crudele de l'Acte II remportera la palme de l'horreur. Itxaro Mentwaka n'est guère plus efficace en Nirenus, affichant un placement vocal disgracieusement nasal et une instabilité notoire. D'abord éthérée et maniérée dans ses premières apparitions, la Cleopatra de Elena de la Merced donne la mesure de son talent dans Tu la mia stella, au troisième tiers du premier acte ; on appréciera alors son chant toujours bien mené, malgré une douloureuse tendance à grimacer qui ne la quitte pas, jusqu'à la tendre sensibilité qui servira avantageusement le célèbre Piangerò de l'Acte III. Cornelia, l'autre héroïne de l'ouvrage de Händel, bénéficie de la présence ô combien précieuse de Ewa Podles : cependant, si le public lui fait fête dès son premier air, nous émettrons quelques réserves, car elle n'y gère que fort hasardeusement les passages en poitrine ou en fausset, d'une voix qui paraît de prime abord plutôt usée, à l'aigu brumeux ; par la suite, l'artiste révèle de grandes qualités de musicienne et un charisme indéniable, la voix étant plus égale à partir de Nel tuo seno (l'arioso de l’Acte I), et le duo final avec son fils atteindra des sommets, tant pour l'exceptionnelle pâte vocale que pour la construction du personnage, maladroitement desservi par une diction lâche dont on ne perçoit pas un mot.
Restent les trois autres grands rôles. On saluera Maite Beaumont qui campe un Sesto d'une évidente crédibilité, par un chant direct et efficace, parfaitement conduit, à l'impact irréprochable, dès le premier acte. Après le fort beau duo (évoqué précédemment) avec Cornelia, tous ses airs emporteront l'enthousiasme, même si l'on reste conscient que Sesto n'est pas difficile à chanter, n'étant pratiquement qu'en vaillance, sans nécessité de nuancer beaucoup – du coup, avec une voix saine et un art fiable, le tour est joué ! Avec un phrasé somptueux, plus présent encore s'avère le Tolomeo de Jordi Domènech, aventurant les ornements et variations de ses da capo vers des réalisations magnifiques, comme saurait en témoigner à lui seul le Domerò la tua fierezza du dernier acte, gérant exemplairement les intervalles, l'impact de l'extrême grave comme les pointes aiguës. C'est superbement qu'il meurt avec Stille amare, la mise en scène réduisant l'Egyptien à une tête tranchée déposée sur le sol, sans doute afin que le public – qui est bête, comme chacun sait – comprenne bien la vengeance de Pompée par Sesto. Mais nous reviendrons sur ce vaste sujet… Enfin, Flavio Oliver présente un Giulio Cesare pétillant et attachant, bien qu'avec un départ peu prometteur. Rarement en mesure pour commencer, arborant un timbre étrangement acide, on le découvrira plus satisfaisant sur Va tacito e nascosto (plage 26 du premier disque), gagnant en justesse, agilité, puissance et style. D'amélioration en progrès, le contre-ténor affirmera tant la vaillance que la délicatesse de son chant, notamment dans les vocalises de Dall'on-doso periglio, au milieu du dernier acte. En fin de parcours, le voici en pleine forme, parti pour chanter jusqu'à demain !
On passera rapidement sur deux interventions du Chœur plutôt faiblardes, préférant évoquer la conduite de Michael Hofstetter à la tête de l'Orquestra Simfònica del Gran Teatre del Liceu. Le chef présente ici une lecture plutôt élégante et équilibrée de l'opéra de Händel, dont on sent dès les premières mesures de la Sinfonia qu'elle sera animée d'un grand souffle. Toutefois, on regrettera quelques loupés de la part des bois et des cordes graves peu concernées.
Reste le pire : la mise en scène que crut devoir concevoir Herbert Wernicke est tout simplement catastrophique. Si la représentation s'ouvre joliment sur l'abord du bateau romain contre un vaste coquillage, la scène se reflétant dans la nacre supposée, avec une lumière savamment distribuée qui peut être de petit jour comme de pleine lune sur l'océan, tout ira de mal en pis dès l'arrivée d'un crocodile, soit environ à partir de la seconde minute de l'Ouverture. Pendant près de trois heures et demie, l'on assistera à de continuels changements d'éclairage, une foule de mouvements et déplacements sans guère de sens, en tout cas n'émanant jamais d'une vraie direction d'acteurs ou des situations dramatiques elles-mêmes, dans un climat tragi-comique des plus racoleurs et des moins subtils, manteaux d'officiers des années trente, casque colonial et chemise baroque servant une production qui semble s'ingénier à ridiculiser non seulement l'ouvrage mais encore les artistes qui ont à le défendre. Il serait fastidieux de répertorier tout ce qui se passe sur ce pauvre plateau : il suffira de savoir que le crocodile hante toute l'action, de même que la tête en caoutchouc du grand Pompée, occasionnant un surprenant numéro de Tolomeo dont on pourrait soudain croire qu'il se finira par les Sept voiles ! Un remue-ménage saoulant marié à une terrifiante accumulation de gags révèle une peur du vide qui vient déplacer l'attention sur des futilités et nous empêche d'entrer jamais dans le vif du sujet. Du coup, immanquablement, les personnages n'existent pas, l'histoire n'a plus aucun corps, dans une proposition qui oublie de faire confiance à l'expressivité des chanteurs. Évidemment, le chœur final est un groupe de touristes venus admirer l'Antiquité…
BB