Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Solti et The Chicago Symphony Orchestra
Hector Berlioz | La damnation de Faust

1 DVD Arthaus Musik (2006)
102 023
Georg Solti dirige Berlioz au Royal Albert Hall, en 1989

Au Royal Albert Hall, en 1989, les caméras de la BBC filmaient un prestigieux concert où Georg Solti dirigeait la légende dramatique en quatre parties qu’Hector Berlioz achevait en 1846 : La Damnation de Faust. Grâce à Arthaus, nous pouvons partager aujourd'hui l'enthousiasme du public londonien qui, après environ deux heures et dix minutes de musique, libérait un massif enthousiasme.

Ce jour-là, Peter Rose offrait un Brander au timbre égal, accusant cependant des intervalles parfois imprécis ; sans esprit, sa Chanson du rat s'avérait d'un cuisant ennui. Par chance, à cette époque, Anne Sofie von Otter n'est pas encore ultra maniérée dans sa façon particulière et personnelle de nuancer. Si la diction perd beaucoup en dehors des récitatifs ou ariosos – dangereusement, l'accent tonique du texte français n'existe plus –, on regrettera également que de nombreuses fins de phrases disparaissent à la trappe dans Le Roi de Thulé. Cela dit, la couleur reste égale.

Bien que Solti soit fort attentif, l'orchestre, qui ne déploie pas ses effectifs dans ce passage, parvient à masquer la voix, ce qui révèle sa confidentialité. Dans la suite, la chanteuse s'occupera surtout de technique, ce qui en soi est louable, mais ne nous interpelle pas. La Romance est bien soignée, et elle y trouve une certaine unité, même si le grave a toujours l'air un peu déconnecté du reste de la tessiture ; en tout cas, la pâte sonore demeure égale et l'artiste s'en sort plutôt bien dans les chaotiques lourés hystériques. Dans la 13ème scène (3ème partie), le duo avec Faust est avantageusement servi, la réalisation évidente des syncopes y créant une dynamique puissante autant que discrète. À l'inverse, vocalement déséquilibré, le trio suivant ne fonctionne pas.

La prestation de José van Dam souffrait elle aussi d'inégalité. La voix n'est pas la même sur l'ensemble de la tessiture, avec un grave sur la cruelle maigreur duquel le Pandaemonium pointe un doigt sans pitié, l'échange avec Brander n'est guère flatteur quant à la puissance du baryton belge qui, outre qu'il manque d'esprit dans la Sérénade, commence à parler à la fin de la 3ème partie (scène 12), tel qu'on l'entendit le faire souvent depuis à l'opéra ; l'expressivité devient alors vulgaire. Sans autorité ni charisme, il reste un Méphistophélès de pacotille. Faisons lui justice en applaudissant un travail interprétatif découlant d'un long métier de théâtre, un art de la nuance qui, hormis le passage évoqué, sert une belle expressivité – voix de velours pour Voici des roses, en début de la scène 7 –, une diction exemplaire, d'excellents récitatifs, une couleur encore présente dans ces années-là et une élégance rare dans l'articulation de la Sérénade. Le lecteur fera le tri…

Quant au rôle-titre, le timbre clair de Keith Lewis sait piquer où il faut. Si la diction est un peu fastidieuse au début du concert, elle se bonifiera prodigieusement au fil de l'exécution. Dès le début de la scène 4 (2ème partie), son chant se fait plus sensible, Sans plaisir je revois nos altières montagnes jouissant d'un magnifique travail en voix mixte, d'une exquise délicatesse. De même dépose-t-il gentiment son air de la 3ème partie – rappelons qu'exigeant, le rôle n'est pas facile : ici, l'écriture de Berlioz requiert vaillance, souplesse, sensibilité, et un espace confortable, même s'il n'est pas sollicité de manière visible. Bien que l'on perçoive déjà les soucis qui engorgeront le haut médium dans les années à venir, on admirera la souplesse de Que j'aime ce silence, et le legato somptueusement mené de la quasi wagnérienne Invocation à la Nature (scène 16, 4ème partie).

Les artistes du Chorus of the Chicago Symphony Orchestra et du Chorus of the Westminster Cathedral conjuguaient leur talent, parvenant à faire sonner comme personne le texte français, ce qui est infiniment difficile pour une masse chorale. On saluera l'excellent travail de nuances et d'accentuation, en totale intelligence avec le sens du texte. Sur la Pâques, on entend vraiment les effets de la grande tradition chorale anglo-saxonne.

Enfin, la conduite de Georg Solti, à la tête du Chicago Symphony Orchestra, sait nous plonger dès les premières mesures dans un climat saisissant. Ménageant toujours l'équilibre, avec des péripéties qui ne surcontrastent pas le propos, il ne livre rien à l'avance. Au contraire, tout en soulignant le soufre des cuivres de l'Évocation – annonçant l’Ex exspecto resurrectionem mortuorum de Messiaen –, il tiendra le suspens jusqu'à la frénésie organisée du Pandaemonium.

BB