Recherche
Chroniques
George Antheil
musique de chambre
Né à Trenton, dans le New Jersey, avec l'avènement du XXe siècle, George Antheil suit très tôt les leçons de violon et de piano que son père, modeste propriétaire d'un magasin de chaussures, lui offre, et approfondira cette approche à Philadelphie avec les cours de Constantin von Sternberg, ancien élève de Ferenc Liszt, dès ses seize ans. Trois ans plus tard, sur les conseils de son maître, le jeune homme part pour New York où il apprend la composition auprès d’Ernst Bloch. Restant un garçon brillant et pauvre dans une Amérique dont l'argent est le seul dieu, il devra vite interrompre ses études de musique. Vivant de divers petits boulot, il rencontre la mécène Mary Louise Curtis Bok, qui le prend sous son aile, et fonde en 1923 le désormais célèbre Curtis Institut. Le musicien quittera New York dans ces années-là, pour tenter de conquérir l'Europe. Entre Londres, Berlin, Budapest, et Paris, Antheil devient rapidement le Bad Boy de la musique moderne. Il donne des récitals exclusivement consacrés à la musique contemporaine, ce qui est très étonnant alors, jouant Falla, Stravinsky qu'il admire, Debussy, Albéniz, Ravel, et bien sûr ses propres œuvres pour piano, brèves et fulgurantes, comme Death of the Machines (en quatre mouvements de moins d'une minute chacun), les sonates Airplane, Sauvage, aux rythmes épileptiques, et les plus modérées Jazz Sonata ou petites pièces de caractère comme Little Shimmy qui rassurent en partie l'auditoire, toutes choses datant de 1922-23.
C'est à Berlin qu'il fait la connaissance de Böski Markus, une étudiante hongroise en sanscrit et autres langues orientales, qu'il épousera en 1925, et avec laquelle il s'installe à Paris. Là, le couple est admis dans le cercle d'une certaine avant-garde entretenu par Picasso, les poètes Pound et Joyce, Léger et Ray, entre autres. Il joue en fait au phénomène de foire pour attirer l'attention de Martin Hanson, très puissant agent artistique en visite en Europe. Dans ses mémoires (Bad Boy of Music), il reconnaît ses intentions d'alors :
« Je fis l'achat de deux grands aquariums que je remplis d'eau et plaçai de chaque côté de mon piano sur des tables basses. Je m'exerçais ensuite durant un bon mois, à raison de quinze à vingt heures par jour. Lorsqu'une main enflait ou saignait d'épuisement, je la plongeais dans l'eau fraîche d'un aquarium. J'acquis ainsi une technique qui, un mois plus tard, lorsqu'il me fut donné de la lui montrer, subjugua Martin Hanson... »
Ses récitals se transforment parfois en champs de bataille, certains auditeurs considérant sa musique comme un scandale en soi, d'autres prenant sa défense, et ainsi de suite, si bien que Antheil se souviendra avec amusement plus tard des querelles qui firent lever le ton à Marcel Duchamp et entraînèrent même Man Ray à jouer des poings. Évidemment, il fait fureur, jusqu'à ce jour de 1926 où il créé le Ballet Mécanique qui devient la plus célèbre de ses partitions. L'œuvre connut plusieurs moutures, dont une pour seize pianos, xylophones, tambours et percussions. Sur ce disque, c'est la révision de 1953 qui est gravée, pour petite et grande hélices d'avion, glockenspiel, cymbales, gong, pavé de bois, caisse claire, tambourin, grande et petite cloche électriques, tambours ténor et basse, deux xylophones, quatre pianos, et triangle. On y entend par endroit la Sonate pour deux pianos et percussions de Bartók, mais également certains traits de Varèse et, forcément, de Stravinsky, sans omettre l'indéniable influence de Parade, le célèbre ballet de Satie. On pourrait rapprocher l'œuvre de certains essais de Cowell, mais aussi de tentatives constructivistes soviétiques qui cependant restaient alors totalement inconnues en dehors de l'Union. En un petit quart d'heure, c'est à un déploiement débridé d'énergie que l'on goûte, usant d'effets volontiers violents et provocateurs. L'enregistrement proposé par Naxos a été effectué en 1999 par le Philadelphia Virtuosi Chamber Orchestra qui s'attèle à défendre avec vigueur cette page surprenante, dirigée au cordeau par Daniel Spalding d'une très appréciable précision. La sonorité est d'une spectaculaire crudité, comme il se doit.
Après cette pièce que beaucoup ont considérée comme la clé de voûte de sa carrière d'avant-gardiste sauvage, Antheil se tourna vers un inattendu néoclassicisme avec la création, un an après, du Concerto pour piano qui déçut tant la partie du public qui s'était favorablement emportée pour le Ballet Mécanique qu'elle tourna définitivement le dos à l'auteur. Il retrouvait par conséquent les soucis d'argent d'autrefois, et la pesante chape d'un anonymat duquel il s'était déshabitué. Il réussit à faire jouer son opéra Transatlantic à l'Opéra de Francfort au printemps 1930, avant de retourner au pays avec son épouse. Il écrit avant de quitter l'Europe le Concerto de chambre très influencé par L'histoire du soldat (1918) et la Symphonie d'instruments à vent (1920) de Stravinsky, et que ce disque propose en fin de programme. Ce n'est pas une œuvre d'un grand intérêt, cela dit. Puis, La Juilliard School créera sans succès son nouvel opéra Helen Retires en 1934, et Antheil semble désormais voué à l'échec et à l'oubli.
A partir de 1936, grâce aux relations mondaines de sa fidèle bienfaitrice Madame Curtis Bok, il commence à répondre à des commandes d'Hollywood. Alors qu'il s'était mis à écrire des romans policiers dans une sorte de fièvre créatrice, Il devient rapidement un compositeur de musiques de films d'une prolixité vertigineuse. Entre autres partitions fleuves pour le cinéma, on se souviendra d’Orgueil et passion, Ruelles du malheur, Le Bagarreur du Kentucky, Le Spectre de la Rose, Les flibustiers, et la musique de nombreux westerns dont la liste serait longue. Il fait fortune, cela va sans dire, et travaille comme un forçat, puisqu'il entend faire vivre sa famille sur un certain pied tout en composant par ailleurs de la musique sérieuse pour satisfaire ses velléités purement artistiques.
C'est de cette période que date la fameuse Quatrième Symphonie qui le replaça en quelques sortes dans la catégorie des compositeurs jouables au concert, pourrait-on dire... C'est le cas également pour le Sérénade pour orchestre à cordes de 1948 que l'on peut entendre ici dans une interprétation d'un lyrisme quasiment barberien. Le second mouvement, andante molto, est joué avec une grande tendresse.
La collection American Classics du label Naxos offre là un disque au programme judicieusement imaginé, qui permet de suivre les aléas d'une carrière dans une succession contrastée de périodes compositionnelles disparates. La notice de Joschua Cheek traduite en français par David Ylla-Somers propose une approche concise et intéressante des œuvres et de leur auteur.
BB