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Chroniques
George Benjamin
Lessons in love and violence | Leçons d’amour et de violence
Pour qui n’a pas pu se rendre au Royal Opera House (Londres) où Lessons in love and violence fut présenté pour la première fois le 10 mai 2018, ni même à Lyon un an plus tard pour la reprise, la présente captation est une chance inespérée de découvrir cette coproduction internationale de haut vol. Après Into the little hill (2009) et Written on skin (2012) [lire nos chroniques du 22 novembre 2006 et du 25 novembre 2012], la troisième collaboration de George Benjamin et Martin Crimp trouve son inspiration non loin du Moyen Âge prisé par le duo, en l’occurrence dans Edward II (1593), la tragédie célèbre de Christopher Marlowe, comme dans les chroniques des historiens Raphael Holinshed (1570) et John Stowe (1580). Dans un texte dont le compositeur apprécie l’âpre intensité, le dramaturge a conçu une série de leçons grâce auxquelles chaque adulte de l’intrigue apprend l’étendue et les limites de son propre pouvoir, tandis que les plus jeunes découvrent les facettes les plus sombres de la nature humaine.
Conseiller militaire pour qui toute forme d’amour est un poison, Mortimer accuse son souverain d’irresponsabilité politique car ce dernier néglige un pays au bord de la famine et du soulèvement civil pour se consacrer à Gaveston – un homme craint et détesté par le peuple. Mortimer est chassé sur un coup de tête lourd de conséquences (Scène 1). À l’instigation du banni, la reine Isabel est contrainte de se confronter à la misère et à la colère populaire. Elle accepte alors que Gaveston soit assassiné (Scène 2). Le Roi demande à Gaveston de lui prédire son avenir, juste avant un divertissement qui s’achève avec l’arrestation du jeune homme (Scène 3). Apprenant la mort de son favori, le souverain se mure dans sa douleur (Scène 4). Rejetée, Isabel tourne la page et s’installe avec Mortimer qui devient le mentor despotique du fils héritier. Devant celui-ci, il ordonne la mise à mort d’un Fou inoffensif (Scène 5). Mortimer rend visite ensuite au Roi emprisonné et le persuade d’abdiquer en faveur de son enfant. La chose faite, le prisonnier accueille un Étranger aux traits de Gaveston, soit la Mort qui vient mettre fin à ses douleurs terrestres (Scène 6). Bientôt affranchi du contrôle de sa mère, le jeune prince rétablit l’ordre à l’occasion d’un nouveau divertissement, cruel à souhait (Scène 7).
L’opéra ne dure pas plus d’une heure et demie, mais Benjamin doit malgré tout maintenir l’intérêt et la variété qu’exige le genre, au moyen de passages différenciés, ainsi qu’il l’explique à Oliver Mears, directeur de l’institution accueillante : « il faut que les timbres de chaque scène aient une certaine couleur. Ceux de la première sont capricieux, variés et volatiles. Dans la deuxième, la terrible catastrophe du royaume s’insinue à la cour, alors il me fallait refléter le cataclysme qui frappait les existences des personnages, autrement dit le coloris devait être métallique et souvent gris et désolé. La scène où le Roi et Isabel se retrouvent seuls a un ton différent : c’est un nocturne avec une orchestration réduite. […] Quant au début de la scène où l’on présente le fou, il y règne une espièglerie qui est également unique dans la partition » (notice du DVD).
Avec talent, assistée par Vickie Mortimer (décors) et James Farncombe (lumières), Katie Mitchell met en scène la transgression qui est au cœur de l’ouvrage : l’amour dans le contexte politique, avec son lot de décisions contestables, voire malavisées [lire nos chroniques du Vin herbé, Pelléas et Mélisande et Orest]. Les chanteurs Stéphane Degout (Roi), Peter Hoare (Mortimer) et Samuel Boden (Garçon) sont irréprochables. Gyula Orendt (Gaveston, Étranger) peut être pris en faute sur certaines notes appuyées et tenues, mais jamais sur ses pianissimi caressants à souhait. Comme souvent, Barbara Hannigan (Isabel) fini par hystériser son jeu, de concert avec quelques dérapages vocaux. Dans les rôles secondaires (Témoins, Fou, etc.), Jennifer France, Krisztina Szabó et Andri Björn Róbertsson ne présentent aucune faiblesse, ni la comédienne Ocean Barrington-Cook dans le rôle de la Fille du Roi. À la tête de l’orchestre maison, George Benjamin dirige lui-même cet opus solide et palpitant, parcouru de tensions musicales et psychologiques [lire notre chronique du 18 mai 2018].
LB