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Chroniques
Georges Aperghis
Conversation imagée 2019-2021
Promoteur d’une « musicologie interdisciplinaire attentive à la singularité des situations de production, de jeu, de perception et de verbalisation » – ainsi que le présente l’Université de Genève, intégrée par lui cette année –, Nicolas Donin partage aujourd’hui le contenu de plusieurs entretiens avec Georges Aperghis (né en 1945), ayant eu lieu entre 2019 et 2021. Au compositeur connu pour une œuvre désormais cinquantenaire aux affinités multiples, notre musicologue a fait le pari de proposer l’image comme fil rouge de discussions à bâtons rompus sur une vie et une carrière sans sectarisme, ni parti pris.
L’image, c’est d’abord celle des souvenirs d’une jeunesse sous le ciel grec, incrustée pour toujours dans un coin de soi. La maison familiale ouvre sur un monde esthétique, non seulement parce qu’elle abrite livres et revues d’art, mais parce que le père sculpteur et la mère décoratrice d’intérieur reçoivent nombre d’amis artistes. Tous deux peignent aussi, ce qui motive leur fils à manier quelque temps l’aquarelle et la gouache lorsqu’il s’éloigne du piano. Un jour qu’il se rend à une exposition d’art américain, il est sidéré par Reservoir (1961), une toile de Robert Rauschenberg composée d’objets hétérogènes. Elle ouvre l’adolescent aux combinaisons et associations libres, à un certain théâtre mental qu’il explorera au temps de l’ATEM (1976-1997) et de Meta-Art, sans faire la morale ni raconter d’histoires.
Aperghis arrive à Paris pour étudier la direction d’orchestre. Homme-éponge, homme-toupie, il se passionne pour un nouveau théâtre (Adamov, Vitez, etc.), pour un cinéma nouveau (Fellini, Franju, Rivette, etc.), tout en conservant sa tendresse au spectacle de l'enfance : théâtre d’ombres (Karaghiósis), musicals, cartoons, etc. Évoquer des maîtres habiles à faire surgir l’improbable dans le quotidien (Hitchcock) ou à transposer des éléments familiers dans un ailleurs perturbant (Lynch) conduit le créateur à préciser son travail : « je suis attiré par ce qui dépasse, ce qu’il faut donner à voir et à entendre sans édulcoration si l’on veut en préserver la singularité ». Il ajoute même, friand d’aspérité, d’action et d’énergie : « dès qu’il y a un conflit possible, je n’en fais pas l’économie ».
Ce n’est pas sans regret que l’on quitte ce livre richement illustré – notamment de partitions variées, lorsqu’on parle notation –, aux invités nombreux (Pollock, Xenakis, etc.), tant suivre l’échange entre deux personnes sincères et cultivées s’avère stimulant pour l’esprit ! Partenaire de vie et de projets, Édith Scob aurait dû être la troisième voix de cette conversation qui lui est dédiée.
LB