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Georges Sauvé
Antonio Sacchini – Un musicien de Marie-Antoinette
Affichant un joyeux recul devant les conventions de l'exercice biographique, Georges Sauvé procure une lecture fleurie, détendue et fluide de son Antonio Sacchini, un musicien de Marie-Antoinette. Tout en citant scrupuleusement ses sources sans omettre d'en critiquer parfois les extrapolations, l'auteur concentre son exposé sur les dernières années du musicien, vécues à Paris, à l'apogée de sa carrière.
Né vraisemblablement le 14 juin 1730 à Florence, Sacchini n'est pas fils d'humbles pêcheurs de Campanie, comme le dit une idée reçue, mais fils du cocher attitré de Charles de Bourbon. Suivant son père qui lui-même suit le Prince, il émigre pour Naples à l'âge de quatre ans. La légende répandue selon laquelle Durante aurait pris l'enfant sous son aile est ici rationnellement répudiée. Un bref point est fait sur la ville afin de mieux cerner l'éducation musicale qu'il y reçut. Nommé maître de chapelle surnuméraire bénévole en 1758, puis maître en second en 1761 (pour six ducats par mois), le musicien présente ses premiers ouvrages lyriques : Fra Diavolo, Il Giocatore, L'Olimpia tradita, Il copista burlato, etc. Par an, il écrit deux à trois œuvres qui rayonneront bientôt hors de Naples, ce qui lui vaut des avances d'autres villes. Combinant un temps des charges napolitaines et vénitiennes, Sacchini vogue de théâtre en théâtre à travers de nombreuses cités, puis s'installe à Londres en 1773. Après un bref état des lieux de la vie musicale londonienne, l'auteur observe comment Sacchini finit par régner (avec Johann Christian Bach) sur la capitale à laquelle il fournit de nouveaux ouvrages en langue anglaise, y trouvant vite des partisans qui le surnomment affectueusement Sack. En pleine Querelle des bouffons, son Olimpiade connaît le succès à Paris (1777). C'est vraisemblablement pour fuir les dettes que sa vie de noceur accumula en huit ans que le compositeur finit par saisir les opportunités françaises.
Là commence le sujet qui passionne Georges Sauvé : Sacchini à Paris. L'on se dispensera aisément d'un portrait complaisant de la vie brillante et douce de la capitale en 1781 (cinquième chapitre) pour aborder directement le contrat qui liera Sacchini à l'Opéra, Marie-Antoinette se faisant alors sa championne. Nous entrons dans l'infâme bourbier d'intrigues de l'Opéra de la Porte Saint-Martin, dans la suite de batailles mondaines et administratives entre détracteurs et partisans, impliquant le retard de certaines créations du maître. Les sacchinistes opposent bientôt leur élu à son compatriote Piccinni qui n'en peut mais ! Renaud, Chimène et Dardanus n'en verront pas moins le jour, souvent grâce à l'intervention astucieuse de la reine, une protection opérant à Fontainebleau comme à Versailles, en dépit de la mauvaise fois du comité de l'Opéra.
Enfin, nous suivons pas à pas l'élaboration du chef-d'œuvre de Sacchini, Œdipe à Colonne dont de nombreuses arie figureront en amont de la création dans le cahier d'une élève prometteuse : la petite Francesca Bazin qui, à onze ans, chanta ces pages à Marie-Antoinette. Cet opéra est prêt en novembre 1785, mais boudé par le public lors d'une première précipitée dans le théâtre trop neuf de Versailles. À l'issue d'une dernière cabale, l'ouvrage ne verra pas le jour à Fontainebleau. De l'apprendre, Sacchini en serait mort, à l'issue d'une crise de goutte qui l'aurait emporté en trois jours. Cinq mois après la disparition du compositeur, Œdipe à Colonne est représenté à l'Opéra de Paris : revirement de l'opinion qui soudain consacre Sacchini grand musicien ! De même créera-t-on à l'Opéra, le 29 avril 1788, l'ultime pièce de l'Italien, Arcine & Evelina, achevée par Jean-Baptiste Rey. Tout en s'interrogeant sur les « oubliettes où Sacchini tombe, de 1840 à nos jours », ce livre brosse un portrait parfois féroce des mœurs courtoises françaises de la fin du XVIIIe siècle.
BB