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Chroniques
Giacomo Puccini
Tosca
Tosca nous introduit dans trois décors censément différents (église, palais, château), qui ont pour point commun d'être des pièges mortels. Lorsqu'il met en scène le chef-d’œuvre de Puccini pour De Nederlandse Opera en 1998, Nikolaus Lehnhoff soigne particulièrement le cœur de l'ouvrage :
« Le deuxième acte nous donne un aperçu de l'univers de Scarpia : un cachot souterrain, un axe de puissance technocratique, ultramoderne, où tout semble perméable, où les murs ont des yeux et les portes des oreilles. C'est le point où convergent toutes les trajectoires et où nul n'aura d'issue. Des hommes de main et des assistants du bourreau semblent émerger du néant pour y disparaître à nouveau. Au mur, une hélice de turbine sur-dimensionnée figure une chambre de torture bestiale où se déroulent des rituels sadiques ».
Cet antre ne serait rien sans le monstre qui l'habite. Nous avions quitté le chef de la police à la fin de l'Acte I, entouré de piliers métalliques – symboles d'une religion puissante mais froide, et bien peu consolatrice – dont le sommet s'allumait de flammes infernales, nous le retrouvons occupé à caresser un chat, allongé sur la couche qu'il réchauffe pour Tosca. Au mieux, il est un magicien pervers qui s'amuse comme il peut dans son univers mécanique (table sortant du sol, marches d'escalier qui se rétractent) ; au pire, il est ce félin à l'air fou qui semble le mal incarné, sorte d'ange déchu de Jugement dernier. Outre que la jeunesse et la stature de Bryn Terfel contribuent à nous présenter le personnage sous un jour neuf, sa composition ainsi que sa voix (saine, ample, moelleuse) rendent mémorables cette prise de rôle.
Sorte de double bénéfique, Cavaradossi est incarné avec charisme par Richard Margison. Son chant n'a pas le côté enveloppant d'un Domingo mais, s'il semble appliqué, il a l'avantage d'être dépourvu de vulgarité et d'agressivité. L'absence de portamento lui confère une résonance profondément virile qui n'exclue pas la nuance attendrie (O dolci mani). Le comble est qu'en pariant sur la sobriété, il nous offre un E lucevan le stelle à pleurer, quand sa partenaire a fini de nous intéresser depuis un bon moment. Imposant son tempo (Non la sospiri la nostra casetta), prudente sur les aigus, couverte sur les graves, Catherine Malfitano n'a malheureusement plus les moyens de son ambition et compense par un jeu extérieur assez indigne. Préoccupée par sa projection vers le public plus que par le regard de son partenaire, elle est la fausse note du spectacle.
Élégante, lyrique, onctueuse : au premier abord, telle nous apparaît la conduite de Riccardo Chailly à la tête du Royal Concertgebouw Amsterdam, et c'est déjà beaucoup. Par la suite, on s'attache à une certaine mobilité du tempo, à une structure travaillée en profondeur ; on réalise qu'il profite de la couleur d'un des meilleurs ensembles au monde pour imprimer un côté wagnérien à certains passages, mais surtout qu'une grande habitude de la musique de Mahler lui permet d'aborder certaines ruptures de climats. C'est évident sur la confrontation entre Mario et Scarpia, mais aussi sur l'ébauche de valse qui ouvre le troisième acte, ou celle qui annonce l'exécution. Bravo Maestro !
SM