Chroniques

par bertrand bolognesi

Giacomo Puccini
La bohème

1 DVD EMI Classics (2007)
3 77452 9
Giacomo Puccini | La bohème

C'est une Bohème débarrassée de tout kitsch que mit en scène Philippe Sireuil à l'Opernhaus de Zürich, où ce DVD fut filmé en juillet 2005. Le dépouillement de la pauvreté des quatre jeunes garçons se traduit ici par un dépouillement scénique effectif, tout simplement, qui va à l'encontre de représentations chargées d'un fatras s'évertuant à faire pauvre en usant de ces riens qui sont toujours de trop à la misère. Une franche camaraderie fonctionne ici comme au théâtre, loin des conventions souvent rencontrées dans cet ouvrage. Chaque personnage existe sensiblement, grâce à une direction d'acteur exigeante et précise, qui impose une belle énergie sur le plateau, un enthousiasme convaincant qui sait néanmoins ne pas courir sans cesse derrière l'effet. Avec la complicité deJorge Jara pour les costumes, de Vincent Lemaire pour les décors et de Hans-Rudolf Kunz pour les lumières, Sireuil dépeint une jeunesse condamnée à l'insouciance que la mort de Mimi plongera brutalement dans l'âge adulte. De la mansarde partagée avec bonne humeur à une Saint Sylvestre bariolée de Luna Park, la joyeuse équipée accède peu à peu aux premières commandes professionnelles (leçons de Schaunard, fresques de Marcello, articles de Rodolfo, etc.) en passant par un sordide quai de gare, une barrière Denfert indiquant un départ : celui de Mimi dont l'amoureux expose la mort imminente à son copain peintre. Loin d'être anodine, cette option souligne judicieusement qu'au dernier acte, chacun sait bien à quoi s'en tenir. L'accueil de la condamnée, après un drôlissime duel à la ventouse à bonde et à la louche, prend alors des allures de comédie morbide permettant aux uns et aux autres de se projeter dans des rôles positifs, auto-gratifiants, par cette sorte d'inconscient cynisme judéo-chrétien qu'on appelle pitié ou charité. Seul le désarroi de Schaunard – qui ne fait rien, lui, contrairement à ses compagnons – semble alors l'expression d'une émotion authentique, assommante même, d'une massive pureté. Scellée en un éternel printemps, la discrète extinction de Lucia déchire les murs, laissant la vie des autres se tourner vers le soleil, offrande de ces girasole qui l'oublieront.

À la tête des musiciens de l'Orchester der Oper Zürich, Franz Welser-Möst conduit une interprétation solidement articulée dont la souplesse ne paraîtra jamais contradictoire. On y retrouvera cette énergie contagieuse qui habite la scène, non dépourvue d'espièglerie, et sachant également apporter le plus grand soin à chaque détail d'orchestration. De fait, l'on entend des traits qui, d'habitude, passent à la trappe – comme, par exemple, à l'arrivée de Benoît. On regrettera cependant une accentuation parfois brutale qui oublie l'équilibre général. Sur ce point, l'on dira que la direction de Welser-Möst accuse les défauts de sa qualité principale qui est de profiter en gourmand du matériel expressif mitonné par Puccini.

Si l'on félicitera les artistes du Chor des Opernhauses Zürich, parfaitement efficace, et principalement son Kinder und Jugendchor qui s'amuse franchement, le plateau vocal n'est pas en reste, malgré un certain manque d'unité. Passant vite sur un Alcindoro trop confidentiel – Giuseppe Scorsin –, l'honorable Parpignol de Carl Hieger et un Benoît correspondant exactement à ce que l'on attend de ce rôle – Rolf Haunstein donne un papy gentiment tremblant, mais au gosier solide, qu'on se le dise –, l'on saluera les ensembles remarquablement assurés par le quatuor masculin.

Individuellement, Cheyne Davidson est un Schaunard attachant à l'impact accrocheur dont l'émission semble toutefois assez aléatoire. La nuance s'avère volontiers délicate, voire raffinée, et le personnage charismatique. On goûte avec un plaisir sans cesse renouvelé la profondeur de timbre et la couleur riche du Colline de László Polgár, dont l'air du manteau, au dernier acte, laisse pantois. Michael Volle prête sa vaillance, la robustesse de son émission et le confort de son espace vocal à un Marcello à la fois sympathique et bourru. Marcello Giordani campe un Rodolfo avantageusement clair qui, pour savoir rendre onctueux son médium, force un rien l'aigu. Dans l'ensemble, la prestation est nuancée, avançant quelques demi-teintes intéressantes et un legato satisfaisant.

Côté dames, la Musetta d'Elena Mošuc est irréprochable. Le chant est élégant, la technique imparable, mais son personnage manque de chien. Cristina Gallardo-Domâs livre une Mimi qui commence mieux qu'elle ne finit (je ne parle pas du destin du personnage). L'impact est inégal, l'intonation souvent instable, le chant assez maniéré. De même joue-t-elle d'abord tout en sobriété, ce qui crédibilise son drame à venir, pour bientôt minauder – avec un troisième acte parasité d'inutiles roulements d'yeux, par exemple. On s'en consolera en remarquant qu'elle incarne physiquement une phtisique convaincante.

BB