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Chroniques
Giacomo Puccini
La fanciulla del West | La fille du Far-West
« Marx accuse la bourgeoisie industrielle d’aliéner et d’exploiter le travail, tout en lui donnant acte d’en avoir fait le moteur de la victoire de l’esprit humain sur la Nature et sur sa propre nature infirme. […] Les Puritains, qui ont inventé les États-Unis, n’étaient pas moins sourcilleux sur l’ardeur au travail. Ils avaient honte, comme d’un péché capital, de chaque minute inutile et perdue. Time is money, au sens matériel comme au sens moral, était leur devise, que la philosophie utilitariste anglaise du XIXe siècle s’est employée à étayer d’arguments nouveaux, moraux et sociaux. »
Empruntés à Marc Fumaroli (in Paris-New York et retour, Fayard, 2009), ces quelques mots s’associent aisément à l’opéra aujourd’hui centenaire de Puccini – créé à New York, sous la baguette de Toscanini – que présente The Amsterdam Music Theatre fin 2009, avec son folklore d’orpailleurs lessivés, de joueurs de poker et de voyous prompts à dépouiller les uns comme les autres. Nikolaus Lehnoff y mêle la mythologie de la Frontière induite par l’ouvrage (conquête du Wild West, à coups de Winchester plus sauvages encore) à celles de Wall Street (la pépite de métal devient ce papier monnaie dont découle votre statut social) et d’Hollywood (happy end glamour pour nos amoureux sortis « tout droit de la littérature de bas étage », l’une venant sauver l’autre in extremis, de même que la cavalerie vient disperser les Indiens). La satire ne manque pas de tendresse, à l’image de la caravane de Minnie, midinette mordue de rose bonbon, entre peluche et Vierge Marie, ou de la chorégraphie initiale du chœur, façon comédie musicale. Cependant, tout ce decorum semble anecdotique, voire parasite, comparée à la direction d’acteurs elle-même.
« Minnie s’impose avec une autorité absolue, c’est pourquoi elle est devenue une icône à laquelle il est interdit de toucher. Seul un homme de rang privilégié serait tenté de voir en elle plus qu’une simple figure sur un piédestal. Peut-être Minnie regrette-t-elle cette attitude en son for intérieur. Il est intéressant cependant de constater que le sujet de la pièce n’est pas la défloration de la vierge mais la justification et l’acceptation du sentiment grandiose exprimé par le premier rôle. Elle ne peut pas et ne veut pas se décider pour un homme tant qu’elle n’est pas convaincue qu’il est l’homme qui lui convient parfaitement. »
Eva-Maria Westbroek incarne le personnage analysé par Claudia Lupadesco (brochure DVD) avec un chant souple, chaleureux et onctueux où rien n’est jamais heurté. Elle forme un trio équilibré avec Lucio Gallo (Rance vaillant) et Zoran Todorovich (Jonhson à la voix sûre dont l’aigu d’abord difficile se pare d’harmoniques graves des plus séduisantes). Le reste de la distribution ne démérite pas, invitant Roman Sadnik (Nick), Diogenes Randes (Ashby), Stephen Gadd (Sonora), Pascal Pittie (Harry), Patrick Schramm (Larkens), Tijl Faveyts (Billy) ou encore ce clone d’Elvis Presley, si tendre, défendu par André Morsch. En fosse avec le Netherlands Philharmonic Orchestra, Carlo Rizzi offre une direction tout à la fois musclée, forte d’élan et de souffle, et finement attentive aux détails.
LB