Chroniques

par laurent bergnach

Giacomo Puccini
La fanciulla del West | La fille du Far-West

1 DVD EuroArts (2013)
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Pier Luigi Morandi joue La fanciulla del West (1910), un opéra signé Puccini

À considérer le goût de Puccini (1858-1924) pour le dépaysement, et sa capacité à réjouir le public, on pourrait presque l'appeler Jules Verne du lyrique ! Après la France (La bohême, 1896), l’Italie (Tosca, 1900), le Japon (Madama Butterfly, 1904) et avant la Chine de l’inachevée Turandot, le Toscan entraine le mélomane dans l’Ouest le plus lointain, à savoir les montagnes de Californie, au temps de la ruée vers l’or. S’appuyant sur The girl of the Golden West (1904), pièce de l’Américain David Belasco (1853-1931) qu’une Madame Butterfly avait fait remarquer quatre ans plus tôt, Carlo Zangarini, nouveau favori de l’éditeur Ricordi, et l’obscur Guelfo Civinini livrent avec lenteur un livret jugé parfois maladroit par le destinataire. Alors qu’il pensait signer une nouvelle Bohême, Puccini confie son désarroi, depuis sa masure de Chiatri (22 juin 1908) :

« je me planque ici afin de travailler mais je n’avance pas : The Girlest incontestablement plus difficile que je le pensais. Je veux doter l’œuvre de caractères distinctifs très caractérisés [sic]mais, pour le moment, je suis désorienté et je n’arrive pas droit au but comme je le souhaitais. Mon état physique et l’ennui profond qui se dégage de ce maudit endroit n’y sont sans doute pas pour rien… » (in Giacomo Puccini, Fayard, 2005) [lire notre critique de l’ouvrage]. Tant bien que mal, en juillet 1910, le compositeur achève « l’œuvre qui aurait dû être la plus pittoresque, la plus hardie, disons même à la fois la plus grave et la plus rayonnante de toutes » (dixit Marcel Marnat), mais qui finit par drainer les mauvaises critiques, passée l’enthousiaste de la première new yorkaise du 10 décembre 1910 – avec Toscanini en fosse, Emmy Destinn et Enrico Caruso en amoureux.

L’ouvrage sort du purgatoire et, après les visions de Stefanutti, Lehnhoff ou Monaco, c’est à Christof Loy de l’aborder, sans la mettre cette fois à distance comme il le fait trop souvent [lire notre critique des DVD Die Frau ohne Schatten et Lulu]. Hommage au western hollywoodien, son prélude cinématographique prépare à la mièvrerie relative du livret – on y parle d’amour, certes, mais aussi d’éducation et de résistance –, relayé par la projection de gros plans inutiles mais discrets. Son point fort est de rendre tangibles menaces de mort et progression de la rivalité amoureuse. Quant à Pier Giorgio Morandi, sa lecture pondérée séduit par un sens du détail qui ne tutoie pas le kitsch.

Filmés à l’Opéra Royal de Suède (Kungliga Operan) en février 2012, un trio de choix assure le succès de cette production : Nina Stemme (Minnie), dont le legato et la douceur font oublier quelques aigus un peu durs, John Lundgren (Rance), récents Prus et Alberich à la voix généreuse et fiable [lire nos chroniques du 2 juillet 2015 et 9 mars 2013], et le verdien Aleksandrs Antonenko (Ramerrez) [lire notre critique du CD et du DVD Otello, ainsi que notre chronique du 21 novembre 2012], précieux pour un chant direct qui sait convoquer les fulgurances (son plaidoyer auprès de Minnie, après la révélation de son identité) comme les plus doux pianissimi. Signalons également la présence de Niklas Björling Rygert (Nick), ténor clair et nuancé, et Ola Eliasson (Sonora), baryton efficace.

LB