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Chroniques
Giacomo Puccini
La fanciulla del West | La fille du Far West
Le 10 décembre 1910, aux côtés d’Emmy Destinn, Enrico Caruso créait La fille du Far West au Metropolitan Opera de New York, sous la direction d’Arturo Toscanini et en présence du compositeur Giacomo Puccini. Cent ans après, jour pour jour, le nouveau Met ne pouvait manquer de commémorer un tel anniversaire. Reflet de ces représentations, le présent DVD nous revient dans la mise en scène signée par Gian Carlo del Monaco en 1991, avec Deborah Voigt dans le rôle titre, Marcello Giordani en Dick Johnson et Lucio Gallo en Jack Rance.
Avec Edgar [lire notre critique du DVD], La fanciulla del west demeure l'œuvre lyrique la moins populaire et la moins représentée de Puccini. On a peine à imaginer qu’à Paris, la première représentation à l’Opéra n’eut lieu que cette année même [lire notre chronique du 4 février 2014], alors qu’on ne compte plus les productions et les reprises de Tosca, Madama Butterfly ou de La Bohème. C’est vraisemblablement à cause de son absence de grands airs, de l’ambiance de western de série B, d’une action un peu mince tournant parfois au ridicule et d’un happy end qui peut dérouter certains esprits chagrins. Pour finir, les maisons d’opéra peuvent être rebutées par un ouvrage qui nécessite trois voix puissantes et des décors spectaculaires, donc forcément coûteux, pour un plateau hollywoodien digne du Far West…
Pourtant, comme Antonín Dvořák, le Toscan s’est inspiré de véritables airs folkloriques entendus lors de ses voyages nord-américains, et s’est imprégné du quotidien des chercheurs d’or et des indiens, ici caricatures d’esclaves insignifiants. En 1910, le western au cinéma était déjà florissant, même s’il était encore muet, mais il n’avait pas encore l’incroyable popularité qu’il allait acquérir à partir des années trente où le genre fit florès. Ainsi, le compositeur de Torre del Lago fut-il incroyablement visionnaire avec cette fanciulla plus vraie que nature, parlante et même chantante !
Deborah Voigt, star chouchou du Met, y est très à l’aise, même si la cinquantaine la rend peu crédible dans le rôle de l’institutrice barmaid dévote. Mais le grand soprano wagnérien, habitué du rôle [lire notre chronique du 26 février 2013], y retrouve son enfance et ses racines, comme elle le confesse à l’hôtesse du Met, Sondra Ravanovsky. Non sans humour elle raconte son attachement à la bible de Minnie, plus qu’à la partie de poker, pourtant pivot de l’action. Au deuxième acte (où l’on croise une scène similaire à celle de l’acte médian de Tosca), elle se défend lestement de la tentative de viol assez réaliste imaginée par le metteur en scène. Elle est prompte à dégainer son gun face au fruste Rance.
Côté voix, Il faut un grand soprano dramatique capable d’affronter les vaillances de la fosse. Depuis son amaigrissement, spectaculaire à la manière de celui de Maria Callas, la voix de Debbie Voigt accuse un voile dans les graves, un médium strident et nasal, mais les aigus restent planants et le vibrato parfaitement contrôlé. On est loin de la voix melliflue de Renata Tebaldi, assez puissante malgré tout pour en maîtriser la tessiture. Aujourd’hui, Minnie est devenue l’apanage des grands sopranos wagnériens comme Nina Stemme ou la pulpeuse Eva-Maria Westbroek, irremplaçable dans ce rôle [lire notre critique du DVD].
Ténor italien souvent invité par le Met, Marcello Giordano en fait des tonnes et les décibels pleurnichards qu’il émet rendent trop vériste le personnage de Dick, bandit au grand cœur. Plácido Domingo avant lui et Jonas Kaufmann depuis en ont donné des incarnations autrement plus convaincantes et émouvantes. Crédible physiquement, Lucio Gallo a un timbre rauque et ingrat qui convient bien à la noirceur de Rance, digne épigone de Scarpia. De ce baryton l’on attendait pourtant plus de nuances. Tous étasuniens, les seconds rôles sont excellents, à commencer par Dwayne Croft en Sonora. Ils adhèrent à fond à cette production ultra traditionnelle, grand numéro hollywoodien de Far West qu’ils ont dans les gênes.
Aucun détail n’est négligé : le saloon, la cabane de Minnie, le village de maisons de bois, le whisky, les carabines, la neige. La servante-squaw Wowkle est plus vraie que nature et, en chair et en os, les cinq chevaux ont fière allure (il y en avait dix à la création). On est loin des outrances controversées d’un Nikolaus Lehnhoff, vues à Amsterdam et à Paris. Pour cette anniversaire in situ, le Met n’aurait pas risqué de décevoir un public fan du seul opéra américain de Puccini.
À la tête des Metropolitan Opera Orchestra and Chorus à leur zénith, Nicola Luisotti livre une interprétation impressionnante et toujours sensible de ce chef-d’œuvre si méconnu du mélomane français.
MS