Chroniques

par laurent bergnach

Giacomo Puccini
Tosca

1 DVD C Major (2019)
748308
Christian Thielemann joue Tosca (1900), le chef-d’œuvre de Giacomo Puccini

De La Tosca, pièce que Sarah Bernhardt tourna en Europe pendant plus de deux ans – notamment en Italie (Rome, Florence, Milan, Turin, etc.) – et qu’il vit peut-être deux fois, Giacomo Puccini (1858-1924) écrit à l’éditeur Ricordi, le 7 mai 1889 : « je vous supplie de faire le nécessaire pour en obtenir les droits auprès de Sardou. […] Abandonner cette idée me peinerait énormément car, dans cette Tosca,je vois l’opéra qu’il me faut : œuvre sans proportions excessives, sans tapage extérieur et peu faite pour inspirer l’habituelle profusion musicale » – ainsi que le rappelle Marcel Marnat dans sa biographie du musicien (Fayard, 2005) [lire notre critique de l’ouvrage].

Déçu par l’échec milanais d’Edgar en avril précédent [lire notre critique du DVD], Puccini doit vite regagner le cœur du public. Mais Sardou, lui-même blessé par l’accueil de sa pièce sur la terre de Verdi qui est le seul Italien qu’il connait, ne donne pas suite à la demande de Ricordi avant novembre 1891. N’en pouvant plus d’attendre, Puccini se consacre à Manon Lescaut (Turin, 1893), s’enflamme pour l’amour de Pelléas et Mélisande qu’un autre mettrait en musique, s’attèle à La bohème (Turin, 1896) et songe à une adaptation de La faute de l’abbé Mouret (Zola). Après tant de détours, le compositeur, plus que jamais soucieux de fustiger l’hypocrisie ambiante, retrouve alors la pièce aimée jadis, « prompte à dénoncer les ravages du sabre et du goupillon » (ibid.). À partir du livret co-signé par Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, Puccini échafaude son chef-d’œuvre entre mai 1898 et septembre 1899, lequel voit le jour au Teatro Costanzi (Rome) le 14 janvier 1900.

« Encore aujourd’hui, on trouve églises et palais, torture, meurtre et oppression ; et en face, des gens qui résistent au despotisme », déclare Michael Sturminger, artiste oscillant entre théâtre et cinéma [lire nos critiques de The infernal Comedy et The Giacomo variations], en charge de ce qui fut la pièce maîtresse de l’Osterfestspiele Salzburg, en 2018. Cette intemporalité de Tosca, le metteur en scène l’illustre par une ambiance subtile de film noir, dès l’évasion d’Angelotti au milieu des coups de feu. Il réinvente l’occupation de larges espaces magnifiques, conçus – de même que les costumes (années soixante ?) – par Renate Martin et Andreas Donhauser : Sant’Andrea della Valle abrite un cours de dessin pour enfants, Floria chante Vissi d’arte autrement qu’à genoux sur les planches, tandis que la dictature recrute ses nervis dans un internat d’adolescents. Comme rarement, le piège tendu serre la gorge du mélomane à mesure qu’il se referme [lire notre chronique du 2 avril 2018].

Si l’on excepte quelques instabilités chez Aleksandrs Antonenko (Cavaradossi), ténor sans doute souffrant [lire nos chroniques de Cavalleria Rusticana, Samson et Dalila à Genève, Paris et Monte-Carlo, La fanciulla del West, La dame de pique, Otello à Salzbourg, Chicago et New York, enfin d’Aida], et le timbre terne d’un Rupert Grössinger (Sciarrone) peu projeté, la distribution ravit l’oreille. Anja Harteros investit le rôle-titre avec un chant un peu autoritaire qui conserve sa chaleur. D’une voix droite, infaillible, Ludovic Tézier (Scarpia) incarne sans caricature un personnage glacial. On apprécie encore les beaux graves d’Andrea Mastroni (Angelotti) [lire nos chroniques de Macbet, Roberto Devereux, Turandot, Rigoletto et Agrippina, ainsi que notre critique du CD Duparc], la vivacité de Mikeldi Atxalandabaso (Spoletta) [lire nos chroniques de Lucrezia Borgia, Le prophète et Turandot], la santé de Levente Páll (Geolier) [lire notre chronique de Dantons Tod] et le jeu de Matteo Peirone (Sacristain), aux marges du buffo. Le rôle du Berger revient à Benjamin Aster et les interventions anonymes aux Bachchor Salzburg et Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor. À la tête d’une Staatskapelle Dresden veloutée à souhait, Christian Thielemann allie souplesse et tenue, offrant de fréquents moments de grâce.

LB