Chroniques

par laurent bergnach

Gian Carlo Menotti
Goya

1 DVD Arthaus Musik (2010)
101 576

Il semble que Francisco José de Goya y Lucientes soit de ces peintres dont la vie est moins connue que l’œuvre. Né près de Saragosse en 1746, ce fils d’un maître doreur fréquente l’Académie de Dessin de José Luzán durant son adolescence avant de séjourner quelque temps à Madrid – où il se perfectionne auprès du peintre de Chambre Francisco Bayeu autant qu’en découvrant seul les chefs-d’œuvre des collections royales –, puis en Italie. Sur les pas de son père, il entre alors au service des chanoines du Pilar (premières fresques), se rapproche définitivement de l’influent Bayeu en épousant sa sœur et sert à son tour la famille du roi (portraits, cartons de tapisseries). Comme pour illustrer son futur manifeste sur l’absence de règles en peinture, il bouscule ses scènes galantes avec des traits de satire sociale. L’arrivée de Charles IV au pouvoir (1788) renforce sa position à la cour, même si l’en éloigne un moment la disgrâce des Illustrados (progressistes à l’écoute des Lumières).

En novembre 1792, il tombe gravement malade et se retrouve d’abord à demi paralysé durant plusieurs mois, puis sourd de façon irrémédiable. Bien qu’il apprenne à lire sur les lèvres et le langage des signes, cette coupure avec le monde assombrit sa création – comme en témoignent les fameuses Peintures noires sur les murs de sa propre maison [lire notre chronique du 19 juin 2009]. Néanmoins, il se rapproche de Doña Cayetana, treizième duchesse d’Alba de Tormes (fut-il son amant ?), et continue de répondre aux commandes royales. Alors que l’Église censure un recueil de gravures brocardant l’archaïsme national, l’invasion française (1808) voit son attachement aux idées libérales fléchir face à son patriotisme. Mais, de nouveau déçu par son pays, c’est à Bordeaux qu’il s’établit de 1824 jusqu’à sa mort, en 1828, laissant une œuvre raffinée et grinçante qui annonce et séduit l’époque romantique.

En 1977, alors que la « nouvelle musique » manque pour eux d’expressivité vocale – elle fut parodiée dix ans plus tôt, via Help, Help, the Globolinks ! [lire notre critique du DVD] –, Gian Carlo Menotti (1911-2007) et Plácido Domingo évoquent un projet d’opéra conçu pour le ténor qui apprécie beaucoup l’écriture de l’Italien, peu révolutionnaire mais « très mélodique, la seule qui convienne à un chanteur ». Une fois le sujet trouvé, les trois actes sont orchestrés puis créés le 15 novembre 1986, à Washington. Malgré les critiques fusant à l’époque, Domingo revient à cet ouvrage pour ses débuts au Theater an der Wien, en 2004. De l’avis du metteur en scène Kasper Bech Holten, la modernité de Goya tient surtout au conflit existentiel entre un peintre officiel ambitieux devenu un observateur des injustices sociales retiré du monde – une réflexion sur l’engagement rappelant Mathis der Maler [lire notre chronique du 19 novembre 2010].

Vu notre méconnaissance de l’œuvre, la présentation des artistes/personnages en générique d’ouverture s’avère bienvenue ; le couple royal est ainsi identifié dès sa scène de ménage inaugurale : Íride Martinez (Maria Luisa) se montre incisive et drôle avant d’être glaçante, et Andreas Conrad (Charles IV) sonore à souhait. Michelle Breedt (la fière Doña Cayetana) ne manque pas d’ampleur, ni de nous émouvoir par moments. Un peu caverneux, Maurizio Muraro (Don Manuel Godoy) côtoie Christian Gerhaher (Martín Zapater), baryton ferme et vaillant. Terminons avec le rôle-titre. Il y a quelque temps, nous louions l’intelligence et la curiosité d’un Plácido Domingo à l’affiche de Tamerlano [lire notre critique du DVD]. C’est l’artiste des grands jours que nous retrouvons, entre force et douceur, prenant le risque de sortit du répertoire où on l’attendrait.

La qualité des solistes ne sauve malheureusement pas un spectacle destiné à ceux qui peuvent pardonner un livret bourré de clichés sur le désir et la création, un metteur en scène en service minimum et une caméra qui s’attarde sur les cadavres qui respirent. Il faut ajouter à cette liste la musique de Menotti – confiée au chef Emmanuel Villaume à la tête du Radio-Symphonieorchester Wien – qui évoque un Puccini de Broadway mâtiné de zarzuela…

LB