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Chroniques
Gian Carlo Menotti
The medium | La medium
Compositeur précoce né en Italie le 7 juillet 1911, Gian Carlo Menotti commence sa formation musicale à Milan pour la terminer à Philadelphie, sur le conseil de Toscanini. Il s'installe alors aux États-Unis, lieu de premiers succès lyriques qui lui valent des commandes telles The Old Maid and the Thief (1939) pour la radio, Amahl and the Night Visitors (1951) pour la télévision, tandis que deux Prix Pulitzer viennent récompenser The Consul (1950) puis The Saint of Bleecker (1954). Auteur de la plupart de ses livrets, il a aussi écrit ceux deVanessa [lire notre critique du CD] et A Hand of Bridge pour Samuel Barber. L'œuvre de Menotti est bien moins jouée chez nous, sinon connue, que celle d’Elliott Carter par exemple, sans doute à cause de son style conservateur qui, cependant, n'exclue pas une maîtrise de l'équilibre et de la couleur, comme le prouve The Medium, à la belle simplicité de moyens.
À qui appartenait la main glacée que Baba, alias Madame Flora, a sentie sur son cou durant sa dernière séance de spiritisme, et qui l'a fit basculer dans une peur panique ? Puisque n’est pas impliquée sa fille Monica qui l'aide à berner de pauvres gens en prenant la voix des morts, il ne reste que Toby, un jeune Gitan muet qui sert de domestique – le rôle est tenu par un danseur. Malgré ses cajoleries et ses colères, Baba n'obtiendra aucune réponse de sa part, son obsession concourant à la fin tragique du pauvre garçon. Et pourtant, « it wasn't the hand of a man »…
Commande de l'Université Columbia, cet opéra dramatique en deux actes a vu le jour à New York, le 8 mai 1946, mais l'idée remonte dix ans auparavant, quand Menotti, alors près de Salzburg, fut invité par des voisins à une séance de spiritisme. La crédulité déconcertante d'un couple présent fut un déclencheur : « Ce fut moi, non eux, qu'on bluffait. Le pouvoir créatif de leur foi, de leur conviction, me fit examiner mon propre cynisme et m'interroger sur les multiples structures de la réalité ». Pour son auteur, The Medium est à la fois un théâtre à idées et « la tragédie d'une femme prise entre deux mondes : un monde réel qu'elle ne peut entièrement saisir et un monde surnaturel en lequel elle ne peut croire ».
Klytemnestra, Fata Morgana ou Baba la Turque, Joyce Castle semble abonnée aux rôles de monstres, et ça lui va bien ! Campant un personnage cupide et terrible – les insultes à Toby, sans parler de la scène de fouet –, le mezzo possède un charisme qui soutient l'épreuve du disque. Cependant, le livret réserve intelligemment à Baba deux monologues –le jeune garçon trouvé dans les rues de Budapest, les « terribles choses » vue dans sa jeunesse – qui nuancent la cruauté du personnage tout en donnant de l'épaisseur à son passé. On regrette que l'œuvre ne se soit pas terminée sur ses derniers mots, dans le silence, plutôt que par un final si ronflant.
Petite lumière dans cet univers très sombre, Patrice Michaels Bedi incarne Monica : qu'elle demande aux Gobineau – Diane Ragains et Peter Van de Graaff – de ne pas s'affliger de la mort de leur Doodly, qu'elle chantonne pour sa mère abattue, ou qu'elle lise dans le regard de Toby tout l'amour qu'ils ont l'un pour l'autre, son rôle est celui d'une consolatrice omniprésente. La voix du soprano est d'une grande douceur, offrant un velouté idéal aux romances made in Broadway. Autres atouts de ce premier enregistrement de l'ouvrage, réalisé au Bennet-Gordon Hall en novembre 1996 : la lecture attentive et nuancée de Lawrence Rapchak, à la tête de l'Ensemble of Chicago Theater et la reproduction du livret qui permettra aux anglophones de suivre cet opéra avec esprit.
LB