Chroniques

par bertrand bolognesi

Gilbert Amy
Concerto pour piano – Concerto pour violoncelle

1 CD Hortus (2019)
175
les Concerti de Gilbert Amy paraissent aux éditions discographiques HORTUS

Créé au Japon le 4 décembre 2000, le Concerto pour violoncelle et orchestre (1999-2000) de Gilbert Amy gagne à être abordé par le disque qui permet une écoute renouvelée. Contrairement à l’impression qu’il laissait lors des concerts par lesquels la maison ronde fêtait le quatre-vingtième anniversaire du compositeur [lire notre chronique du 5 novembre 2016], cet opus en sept mouvements enchaînés retient toute notre attention. Aussi soupçonnons-nous, sans se leurrer pour autant sur notre propre acuité, que la qualité de l’interprétation n’y est pas pour rien. Avec Jean-Guihen Queyras en soliste, le créateur de l’œuvre, et Amy lui-même à la tête de l’Orchestre de Paris (captation Radio France du 27 septembre 2006), le concerto commence par un soliloque de l’instrument vedette, entre son plus farouche grain et des sifflements d’une souplesse inouïe. Articulée par le silence, cette manière de prélude (Modéré. Quasi improvisé) est tant riche que dépouillée. Sur le motif violoncellistique la percussion fait son entrée (Allegro giusto). Un usage parcimonieux, voire économe, caractérise les interventions orchestrales. Une danse dramatique s’ensuit bientôt, ponctuée d’une plainte languide. L’épisode suivant (Aérien, suspendu, quasi senza tempo) étire cette dernière en un chant douloureux, contrarié par des figures bondissantes puis une imitation menant à un coup d’éclat solistique. La section liminaire reprend le devant de la scène avec Solo, habité par le silence où s’organise la périodicité des évènements. Après une cinquième partie fébrile traversée par une ritournelle cristalline et conclue par l’opposition entre phrasés lancinants et pizz’ mafflus (Assez vif), des sonneries d’orchestre fort égaillées (dans le temps comme dans l’espace acoustique) insufflent un stimulant parcours fragmenté au sixième mouvement (Lent, solennel) dont l’appel des cuivres cite Rituel de Pierre Boulez (1975) – hommage à un compositeur, Bruno Maderna, tout comme le Concerto pour violoncelle qui est dédié à Tōru Takemitsu. Spectaculaire, le final (VII, sans indiquer caractère ni de tempo) remplit efficacement la charge qui lui revient.

Au genre auquel il avait d’ailleurs contribué il y a longtemps (Trajectoires, concerto pour violon et orchestre, 1966 ; création le 5 avril 1968), Gilbert Amy revient trois ans plus tard en écrivant un Concerto pour piano et orchestre (2003-2005) qu’à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France François-Xavier Roth créa le 2 décembre 2006, avec Jean-François Heisser en soliste – et quel soliste, puisque la partie de piano, accompagnée par une formation chambriste enrichi (harpe, percussion) que caractérise une discrétion des plus rares, fait le principal du sujet. Nous le découvrons dans un enregistrement pris sur le vif lors d’un concert bordelais (18 janvier 2019), par le même pianiste avec l’Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine placé sous la direction de Julien Leroy.

À une déflagration pianistique succède un développement obstiné où se laisse entendre un cheminement à travers la réminiscence de l’esthétique sérielle qui avait marqué les premiers pas du compositeur. D’emblée comme tout du long, l’énergie prodiguée par l’écriture du piano fait sensation. Les jeux d’écho trouvent à se prolonger dans les résonances percussives de l’orchestre. Sans chercher à rapprocher absolument Amy de Boulez, un je-ne-sais-quoi de Sur Incises (1996-1998),quant à l’agitation générale et jusqu’à la dislocation de celle-ci, habite ce premier mouvement. Heisser donne un lustre splendide au grand solo musclé. Dans le chapitre médian, le travail sur la résonance est indéniablement boulézien, avec ses atours de souvenir de Répons (1981-1984), bien que les matériaux ne soient comparables. Il survient comme un geste aérien que l’on pourrait assimiler à un succédané du mouvement central d’un concerto traditionnel, ce que contredit bientôt le retour de la tonicité spécifique de l’œuvre. Percussion et cuivres entament l’ultime portion où l’orchestre développe les propositions du piano dans une mise en timbres, pour ainsi dire. Le deuxième quart est marqué par une rupture surprenante via une section percussive particulièrement savoureuse qui partage avec tout le concerto une tension semblant devoir demeurer à jamais invaincue. À un solo pianistique fragmenté d’alors surgir, très résonant, des cellules mélismatiques brèves aux bois, répétées trois fois, assurant la transition entre ses deux parties, la seconde épicée de divers inserts instrumentaux. Passées les scansions stravinskiennes, les suspensions du deuxième mouvement occupent la place qu’elles cèdent aux cordes, pour la dernière minute, sorte de redémarrage entravé, soudain rythmique, où prend naissance un geste colossal, façon Notation n°2 (1980).

Loin de cautionner la notice à escorter cette parution, encore faut-il signaler que son propos, ô combien acerbe et assez mal renseigné – les jugements avancés sont conformes aux contre-vérités de longue date véhiculées sur le sujet, autant d’idées reçues frappées elles-mêmes d’obsolescence –, pourrait induire que la musique de Gilbert Amy, pour laquelle nous manifestons un intérêt dont on ne saura douter [lire nos chroniques du Portrait présenté par le Théâtre du Châtelet, ainsi que de ses Quatuor à cordes n°3 et n°2, Litanies pour Ronchamp, L’Espace du souffle, Choros, Variations, Trois mélodies sur des poèmes de René Leynaud, Mémoire et …d’un désastre obscur], serait pénétrée par une sorte d’inspiration passéiste. Ce n’est guère lui faire honneur et c’est parfaitement faux. Cette précaution posée, invitons le lecteur à l’écoute !

BB