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Chroniques
Gilbert Amy
Litanies pour Ronchamp
Au printemps 1950, lorsque Le Corbusier (1887-1965) – athée pourvu d’ancêtres protestants et cathares – accepte de bâtir son premier ouvrage cultuel sur la colline de Boulémont à Ronchamp (Haute-Saône), il n’hérite pas d’un terrain vierge ni de taille ingrate, comme ce fut le cas pour la Villa Le Lac vingt-cinq ans plus tôt, mais d’un lieu ouvert sur les « quatre horizons », qui fut jadis un sanctuaire romain sur lequel vint se dresser, au Moyen Âge, une petite chapelle dédiée à la Vierge, réduite en cendres par la foudre en 1913, rebâtie après la Première Guerre mondiale, puis détruite à nouveau durant la Seconde. Le Corbusier, qui a privilégié l’angle droit pour ses unités d’habitation (la fameuse Cité radieuse), ressuscite Notre-Dame du Haut avec des courbes qui répondent aux vallons environnant. Du sol, qui suit la pente naturelle du terrain, au plafond, tout est incurvé. C’est aussi un espace de lumière, puisque le jour passe à travers le verre teinté des lucarnes comme par l’espace laissé entre le haut des murs blancs d’épaisseur variable et la coque de béton gris, inspirée d’une carapace de crabe, qui surplombe l’édifice. Le 25 juin 1955, jour de l’inauguration, Le Corbusier résume son action : « créer un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure ».
En l’honneur du demi-siècle de la chapelle, Gilbert Amy (né en 1936) y fait jouer Litanies pour Ronchamp, le 23 septembre 2005. De même que l’architecte franco-suisse n’a pas fait table rase du passé – en effet, Notre-Dame du Haut ranime des pierres abandonnées, abrite la statue en bois polychrome d’une Vierge datant de la fin XVIIe siècle, et porte sur le campanile de plein air, conçu par Jean Prouvé en 1975, deux cloches survivantes des désastres successifs –, le compositeur et membre récent de l'Académie des Beaux-arts offre un ouvrage composite, qui « reflète l’esprit de ces processionals du Moyen Âge, où le peuple et les clercs allaient de chapelles en sanctuaires, s’arrêtant pour chanter une hymne, pour psalmodier une litanie, proposer une lecture, se recueillir pour une prière ».
C’est ainsi que l’œuvre approchant l’heure et demie mêlent des textes grecs, latins et français, de même qu’une musique originale alterne avec des emprunts à la propre Missa cum jubilo d’Amy (1988), au Quatuor n°15 de Beethoven (Adagio) et à l’héritage sacré des siècles précédents – des « fenêtres de réemploi », selon les mots du compositeur. La partition est portée par un ensemble vocal, deux chantres de plain-chant, un quatuor à cordes et un percussionniste. Pour l’enregistrement de mai 2013, ce sont l’ensemble Solistes XXI, Dominique Vellard, Emmanuel Virstorky, le Quatuor Parisii (quinze ans après l’enregistrement du Quatuor n°1 pour MFA) et Abel Billard qui furent réunis, sous la direction de Rachid Safir.
Lumineuse et aérée, Litanies pour Ronchamp joue évidemment sur la répétition et l’invocation qu’implique son titre, mais dans une relative austérité – nous sommes loin, ici, de certains crescendo emphatiques alla Messiaen. L’architecture est subtile (strates, entrelacs), à l’instar du travail de timbre qui invente de discrètes couleurs exotiques (gamelan, violon chinois, etc.). Si l’on est moins touché par deux ou trois étapes de cet hommage à Marie (l’Adagietto pour vibraphone solo, par exemple), l’ensemble a néanmoins un pouvoir hypnotique qui absorbe l’oreille et l’esprit, avec quiétude.
LB