Chroniques

par laurent bergnach

Gilbert Amy
musique de chambre

1 CD Hortus (2017)
150
Deux solos, deux duos et deux trios de Gilbert Amy paraissent chez Hortus

Il y a vingt ans, lorsqu’Emmanuel Hondré l’interrogeait sur la période active de Darmstadt (1950-1965), Gilbert Amy (né en 1936) répondait : « notre époque tourne le dos à cette période ; mais nous sommes beaucoup à ne pas avoir renié cet héritage. Pour ma part, j’ai à l’heure actuelle le sentiment de l’exploiter individuellement, sans en dépendre, de manière libre, ouverte et moins dogmatique » (in Cité Musiques n°26, décembre 1999 – janvier 2000). Les six opus réunis par ce programme chambriste couvrent un quart de siècle de création antérieur à cette déclaration. Abordons-les par ordre croissant d’effectif.

Jeux (Royan, 1973) est à l’origine une pièce pour un à quatre hautbois, avec des décisions laissées à l’interprète – « une version “mobile” comme on disait à l’époque », précise Amy dans la notice du CD. Quatre décennies plus tard, elle est adaptée pour un saxophone soprano (Paris, 2012), dans la version que joue Sergio Menozzi, artiste omniprésent dans cet enregistrement [lire notre chronique CD]. Malgré sa courte durée – neuf minutes environ –, la pièce s’adonne vite à un bavardage qui nous fait lui préférer le solo En-harmonies (Paris, 1996). Le compositeur s’y confronte à la harpe, un instrument intimement lié au système tonal qui rend l’écriture périlleuse. « Pour écrire “atonalement” ou même “modalement”, assure-t-il, on doit nécessairement avoir recours à de fréquents changements de pédales, sous peine d’une dangereuse monotonie… ». Aurélie Bouchard évite cet écueil avec une grande maîtrise, livrant un mystère qui navigue entre chair et diaphanéité.

Avec …d’un désastre obscur (Royan, 1971), Amy participe à un hommage collectif à Jean-Pierre Guézec (1934-1971) qui fut comme lui élève de Milhaud et de Messiaen. Cette courte mélodie emprunte son titre aux mots de Mallarmé que chante le mezzo-soprano Jingchao Wu accompagné par une clarinette en la. C’est bref, efficace et beaucoup moins sage que bien des titres réunis ici. Pour sa part, Le Temps du souffle (Paris, 1993 – révisé depuis) se présente tour à tour comme virtuose et calme. Durant un quart d’heure, une paire d’instruments analogues (clarinette, cor de basset) va s’attirer, se fuir, se retrouver, etc., dans un climat presque méditatif.

De 1967 à 1974, l’auteur de Litanies pour Ronchamp [lire notre critique du CD] succède à Pierre Boulez à la direction du Domaine musical. Pour les soixante ans de son confrère, il écrit En trio (Paris, 1987) en empruntant à des aînés (Bartók, Berg… et Boulez lui-même) qui excellèrent à écrire pour une formation proche ou identique : violon, clarinette et piano. « Ce matériau très divers apparaît parfois en pleine lumière, explique Amy, il est cependant, la plupart du temps, caché dans les replis de la polyphonie ou des agrégats harmoniques : c’est un matériau organique ». Ce trio s’avère plaisant mais sans passionner, voire désuet si on le compare aux explorations de l’époque. Autre trio, Le Temps du souffle II (Paris, 1994) puise son matériau dans l’opus présenté plus haut. Violon, saxophone et trombone y affectionnent le duo, dans une construction qui rappelle l’esprit de variation. Là encore, l’auteur peine à surprendre, à émouvoir.

LB