Chroniques

par pierre-jean tribot

Gioachino Rossini
Moïse et Pharaon

2 DVD TDK (2005)
DVWW-OPMEP
Moïse et Pharaon, opéra de Rossini

La récente démission de Riccardo Muti de son poste de directeur de la Scala de Milan aura fait couler beaucoup d'encre. Beaucoup glosèrent sur un chef d'orchestre autoritaire en fin de parcours, aux goûts particulièrement rétrogrades en matière de mise en scène. Pourtant, ce DVD, issu du spectacle d'ouverture de la saison 2003-2004, montre le célèbre théâtre milanais à son plus haut niveau. Pour cette rentrée, Muti avait, comme souvent, sélectionné une œuvre rare : Moïse et Pharaon ou Le passage de la mer Rouge de Rossini.

En 1824, Rossini devient directeur du Théâtre italien de Paris. Afin de conquérir le cœur du public français, le compositeur renonce à écrire des opéras comiques et cherche à flatter le goût des Parisiens pour les imposantes scènes chorales et les mouvements d'ensemble. Avant de se lancer dans la composition d'une partition originale, l'auteur du Barbier de Séville adapte des opéras italiens. Ainsi, Maometto secondo (1820) devient-il Le Siège de Corinthe (1826). En 1827, sentant la passion pour l'égyptologie qui tourmente les esprits – la découverte de la Pierre de Rosette remonte à 1822 –, il adapte Mosè in Egitto (1818) qu'il rebaptise Moïse et Pharaon ou Le passage de la mer Rouge. Pour cette traduction en langue française, Rossini fait appel à Étienne de Jouy (1764-1846), librettiste de Spontini (La Vestale, Ferdinand Cortez) et de Cherubini (Les Abencérages). Ce dernier écrit un texte inspiré et efficace qui évite toute emphase et tout ridicule. De son côté, le compositeur retravaille l'œuvre en profondeur ; il augmente le rôle du chœur et modifie la structure en favorisant la clarté mélodique. L'ouvrage remporte aussitôt un immense succès qui surpasse celui du Siège de Corinthe. Il reste au répertoire jusqu'en 1865 et sa renommée dépasse les frontières au point de détrôner la version italienne de la partition.

La réalisation milanaise est remarquable. Grand connaisseur de Rossini, le metteur en scène Luca Ronconi et son décorateur Gianni Quaranta évitent le piège de toute actualisation, défaut tant fatal que rédhibitoire dans le grand opéra historique. L'imposant décor présente une grande tribune d'orgue qui se dresse dans une église gothique sise au milieu du désert égyptien ; elle symbolise la « sphère religieuse des Égyptiens antisémites ». Le passage de la Mer Rouge est rendu avec subtilité grâce à une machinerie à l'ancienne. On peut juste émettre quelques réserves sur le côté scolaire des ballets réalisés par Micha van Hoecke.

La distribution réunie par Muti est en tout point exceptionnelle, et il faut saluer la prononciation française de ces artistes non francophones. Grand triomphateur de la soirée, le barytonIldar Abdrazakov est l'incarnation idéale de Moïse : le timbre est souverain, la musicalité hors pair et la présence scénique impressionnante. Face à lui, Giuseppe Filianoti ne démérite pas en Aménophis ; sans avoir le charisme ni les facilités d'aigu d'autres ténors rossiniens, cet artiste sait transformer ses limites en avantages pour livrer une prestation juste et convaincante. Sonia Ganassi est une Anaï touchante qui se joue sans problèmes des difficultés du rôle. Dans sa brève partie du Sinaïde, Barbara Frittoli est, comme toujours, excellente. Il serait injuste de ne pas citer le reste de la distribution : Erwin Schott (Pharaon), Tomislav Mužek (Éliézer), Giorgio Giuseppini (Osiride), Nino Surguladze (Marie) et Maurizio Muraro (une voix mystérieuse).

Évidement, la direction musicale tendue et dramatique de maestro Muti porte l'action et évite tout aspect pompier à la représentation. L'Orchestre et les Chœurs de la Scala de Milan sont fidèles à leur très haute réputation. Notons également que cette production est idéalement filmée par les équipes de la RAI. La conjugaison de ces qualités produit un DVD d'opéra indispensable aux amateurs de lyrique.

PJT